juin 2011:

Pas bien difficile de tomber en pâmoison devant le travail d'orfèvre que constitue l'écriture de Mankiewicz sur ce film. Un petit bijou. Une précision et une acuité d'une redoutable efficacité. Imparable. Oscar amplement mérité, c'est assez rare pour le signaler.

Cette histoire, vieille comme le monde, éternelle comme la fin nous le montre, mouvement perpétuel, porte un regard sinistre sur la nature humaine. D'aucuns diront cynique mais je n'en suis pas si sûr, je soupçonne Mankiewicz d'avoir concocté cette histoire à des fins divertissantes avant tout et non morales. Il privilégie l'humour des situations et bien entendu dans les dialogues. Il y a un côté spectaculaire. Eve est diaboliquement spectaculaire, de cynisme (pour le coup, on ne peut lui retirer cette faiblesse), d'égocentrisme et surtout de perversité.

A-t-on vu personnage plus laid, plus immonde, plus crapule? On ne tarde pas à rencontrer pire mais Eve est noire, totalement noire. Seul donc, DeWitt (George Sanders, grandiose) parvient à terrasser cet animal d'égoïsme en faisant preuve d'autant d'intelligence que de saloperie. Eve est dégueulasse mais pas aussi futée. Elle a encore beaucoup à apprendre dans sa félonie. Certes, le regard moral de Mankiewicz existe, Eve est un archétype, avec par conséquent des traits grossissants. Le discours de DeWitt, lorsqu'il mate définitivement Eve met à nu les ambitions, l'avidité de ces personnages et surtout l'absence d'amour, deux solitudes qui doivent s'entendre, en dehors du monde, celui des autres.

Cependant, malgré tout, la vedette, la lumière du film demeure Margo (Bette Davis), la star vieillissante et sa difficulté à accepter son âge. La trouille amoureuse d'être délaissée par son homme est l'autre grand thème du film, histoire parallèle à la trahison et l'arrivisme d'Eve. Le film montre bien l'étrange conflit qui se trame dans la tête de Margo alors que son histoire d'amour avec Bill (Gary Merrill) doit prendre une autre tournure. L'insécurité affective dans laquelle son avenir semble la pousser engage un combat perdu d'avance et rend dans un premier temps l'épreuve "Eve" insurmontable mais le personnage de Margo est d'une telle richesse qu'elle ne se contente pas d'être une petite fille fragile, sa féminité est achevée. Elle lui procure les ressources nécessaires non seulement pour assener quelques répliques bien senties et admirablement décochées par une immense Bette Davis mais aussi pour asseoir toute sa puissance et une certaine forme de sagesse finalement.

Le quatuor formé de Bette Davis, Gary Merrill, Celeste Holm et Hugh Marlowe finit le film plus fort, me semble-t-il, plus détaché des basses manœuvres et les mesquineries que le monde du théâtre ne manque pas de recéler.

Car Mankiewicz sait mieux que personne combien l'univers du théâtre peut se révéler un parfait miroir de l'humanité, dans toute sa splendeur, comme sa médiocrité la plus absolue.

Pfff, j'ai beau me relire, je n'arrive pas à trouver à mon texte quelque chose de très pertinent. Peu intéressant. Vous savez, quand on a l'impression d'enfoncer des portes ouvertes. Ce film me parait bien plus riche que je ne le puis exprimer. Je ne parviens qu'à l'apprécier sans trop savoir bien appréhender toutes ses facettes. La beauté des relations entre les deux couples, les trahisons pour le bien, celles pour le mal... cette profondeur de vue entre le bien et le mal, et le rapport chrétien à ces notions, la culpabilité, la peur, la gloire, les apparences, l'expression des sentiments, la confiance, tout cela est dans "All about Eve" et je ne suis pas foutu d'en élaborer quelque chose de formellement construit... fatigue? Certainement. Mais pas seulement. Sûrement que la richesse de ce chef d'œuvre me dépasse, voilà tout. Que je me sens petit! J'en parlerai mieux une autre fois.

L'ambition d'écrire, quoiqu'il arrive, sur tous les films que je vois, provoque parfois des désagréments de ce genre. Désolé.
Alligator
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le 19 avr. 2013

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Alligator

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