Ce film existe. Abandonnez tout espoir : ce n'est pas Terrence & Philipp de South Park ou le produit d'un cousin gâteux et cradouille de John Waters (Polyester, Pink Flamingos). Ne rêvez pas : FART the movie est l'unique film de son auteur et de son Etheridge Productions, un truc totalement cheap montrant une facette souvent sous-estimée du cinéma indépendant : tout y est permis. Et tout ce n'est pas juste le plus transgressif et visionnaire, c'est aussi le plus hideux, le plus prodigieusement nul, le plus incommensurablement débile.


FART the movie tiendra son engagement sur toute la durée, ne s'écartant jamais de son unique sujet : le pet. Joel Weiss est Russell, un homme au-delà de la passion et de la simple pétomanie, dont l'unique préoccupation et soulagement est la production de pets. L'ouverture nous présente ce Bean farteur quittant son travail et en chemin, poursuivant les passants de ses prout, rendant inutilisables un banc puis un bus publics. Notre troll capitaliste sans hygiène rentre ensuite chez lui, faisant face à une épouse hystérique dont les attaques n'entament jamais sa quiétude de benêt satisfait et opérationnel. Tous deux possèdent une immense maison contribuant à cette lointaine odeur de soap glamour des années 1980-1990 imprégnant le film, en dépit de la photo grise et de l'absence de mobilier. Il s'y déroulera l'essentiel de FART : la femme de Russell a prévu une soirée pleine de beautiful people, qu'il quittera rapidement pour retourner se livrer à ses activités favorites, voguant principalement entre les chiottes, la cuisine et la télé.


La réalisation est totalement stone, limpide, surréaliste, VHS, avec les musiques pré-lounge de l'époque : l'imagination et le bidouillage n'ont rien à faire ici ! Elles pourraient décentrer les spectateurs : d'ailleurs le sujet est exploré de façon très large. Lorsque Russell se poste devant la télévision, une avalanche d'approches du prout déferlent sitôt que sont zappés de quelconques vieux films sans prout ni [donc] intérêt. Nous allons passer une grande partie de FART à contempler avec Russell ces sketches merveilleux : il y a d'abord le pasteur du fart, puis des reportages sur les flatulences intempestives ou pathologiques d'anonymes. Ainsi surgit le mec aux jambes flageolantes bousillant le couloir d'un hôpital, ou encore cette femme fartant sans relâche autrefois, aujourd'hui intégrée dans la société.


Viendra le feuilleton où un homme annonce à un ami s'attendant manifestement à une déclaration d'un autre genre qu'il aime : péter et qu'il s'agit de sa raison de vivre. L'homme semble considérer avec une certaine sagesse sa différence et accepter cette profonde solitude intérieure. Suivront une série de stand-up sur les joies et aléas du pet ; et puis, bien sûr, le concours de pets ! Toutefois celui-ci est subtilement inséré dans un autre programme, un jeu nommé Whot cut the cheese où il s'agit de reconnaître les pets de stars. Mais alors que les musiciens du Bong Show sont acclamés par les experts pour leur « definitely fart art », un curé vient s'interposer et diaboliser le free-fart ! Seul chez lui Russell s'élève et revendique ses droits constitutionnels, qu'une morale obscurantiste ne saurait arrêter !


Nous sommes en Amérique et nous avons le droit de chercher le bonheur tel que nous le définissons ! Introduction sans précaution d'un groupe de musique country, Medecine Wheel et son Life's a Gas, qui viendra refermer le spectacle un peu plus tard ; et interview d'un scientifique pour remettre un peu de lumière et de vérité sur ce sujet controversé dont Russell est le héros ordinaire. Enfin, après un horrible cauchemar où tous les invités se mettaient cul-nu pour l'assommer de prout, l'épouse de Russell rejoint son mari. Convertie après cette séquence traumatisante aux relents de Répulsion, elle pète au lit avec lui. Les voilà riant et fartant ensemble, s'autorisant enfin ce bonheur simple trop souvent réprimé alors qu'il est manifestement la voie vers la félicité.


La construction est aberrante. Exemple le plus édifiant : le film est censé se dérouler sur une soirée ; régulièrement sont montrés des plans de la 'fête' à l'étage du dessous avec sa femme, pendant que Russell vaque à ses occupations. Or aucune cohérence n'est respectée et le type se balade dans toute la maison manifestement totalement seul, tandis que dans l'autre versant, la fête fait toujours du surplace et semble s'étaler en vérité sur plusieurs jours. Il y a des problèmes partout, mais surtout sur le son. Le film est émaillé de pets (il serait judicieux de les recenser, a-priori la moyenne par minutes est proche de 10) ; lors de scènes anodines ou s'étirant plus de deux secondes, des petites flatulences laconiques viennent ponctuer. Il faut noter aussi une propension certaine au WTF pur et dur, avec par exemple à la 7e minute Miss Russell s'agitant dans une chambre pour ouvrir toutes les fenêtres en adoptant un comportement pour le moins insensé.


FART est plus drôle à évoquer qu'à voir. La séance est interminable et le film impossible à voir en une ou deux fois. Il faut imaginer un genre de Guinea Pig 3 ou 6 pourri conceptualisé par les enfants alcoolisés de La Colline a des yeux, ou bien une contribution au cinéma de BHL avec Adam Sandler en porte-parole du prophète. On regarde FART de façon un peu stoïque et médusée, mais sidéré par cette fureur absurde ; puis des séquences d'hilarité profondes peuvent surgir. Car c'est hilarant de ressentir qu'un tel film a été accompli et percevoir le nihilisme nécessaire à sa création et sa promotion.


Malheureusement l'objet en lui-même n'apporte pas ou peu de satisfactions : il est décomplexé mais pire que médiocre. C'est aussi ce qui en fait une expérience si intimidante. Contempler FART dans son intégralité est une torture, mais savoir qu'il a réussi à circuler, faire partie des bases de données, exulter sa bêtise avec un systématisme militant, a quelque chose d'assez fascinant. La crasse culturelle commune est transcendée : la bêtise ou l'anéantissement de l'âme n'est plus un dommage collatéral inévitable, d'ordre naturel, comme pour Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ou Wasabi, mais une intention d'une clarté absolue, un effet assumé et recherché. C'est laid et sinistre, mais c'est aller au bout de sa cohérence et prendre idéologiquement le parti des habitants dégénérés d'Idiocracy.


https://zogarok.wordpress.com/2015/01/23/fart-the-movie/

Zogarok

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