Pour peu qu'on oublie le côté "marchand" – fort encombrant – du cinéma, on peut considérer chaque film comme un cadeau, un moyen pour son créateur de partager avant même de lui permettre de s'exprimer. C’est ce que fait ressentir la vision de ce "Fantastic Mr Fox", dernier né du jeune Wes Anderson dont la filmographie sans réelle tache menaçait tout de même récemment de se mettre à tourner en rond. Ce nouveau film, en plus d’être une joyeuse parenthèse pour tout un chacun, est donc une bénédiction pour ceux et celles qui apprécient son travail. Et si le choix de passer à l’animation peut être surprenant de prime abord, il suffit de se remettre en tête les univers et personnages crées par le cinéaste, qui semblent tout droit sortis de l’esprit d’un « cartoonist », pour que cette nouvelle trajectoire prenne toute sa logique.
Anderson, chose tout de même peu commune, fait ici bien plus que se renouveler : il investit carrément un nouveau terrain tout en s’y démarquant d’entrée de jeu, comme il l’a fait à l’époque de ses premiers films, "Bottle rocket" et "La famille Tenenbaum", qu’on croirait imaginés par un enfant à la fois facétieux et mature qui aurait été pleinement accepté à Hollywood, les deux pieds dans le système mais l’esprit clairement ailleurs. "Fantastic Mr Fox" s’installe dans le paysage du film d’animation exactement de la même façon : produit au sein d’un studio selon une technique ancienne, avec laquelle Anderson s’est familiarisé sur le tournage de "La vie aquatique", le projet semble né de cette sérénité artistique qui représente le nirvana des créateurs, toutes catégories confondues. Qualifier le résultat d’« enchantement » est d’une facilité déconcertante, même avec toute la sincérité du monde, puisque c’est précisément le but de ce genre de films qui s’adressent, bien que chacun s’en défende, à un public jeune. Avouez qu’il est agaçant d’entendre à chaque sortie du moindre métrage d’animation qu’il « ravira petits et grands ». "Fantastic Mr Fox" fait partie des (très) rares exemples qui peuvent pleinement contenter chaque génération, pour peu qu’on aime le style du réalisateur, évidemment. Car les adeptes des prouesses techniques façon Pixar n’auront même pas le temps de trouver la méthode d’Anderson « datée ». Ce sont, avant tout, les codes visuels du cinéaste qui tiendront à distance le public le plus large. Humour, rythme et composition des plans l’identifient clairement et d’emblée, filmant ses marionnettes exactement comme s’il s’agissaient d’acteurs en chair et en os, et s’offrant même un ou deux de ces plans-séquences d’observation qu’il affectionne tant, faisant se balader la caméra dans le décor, au milieu des personnages en pleine activité. Dialoguant son film tel une comédie familiale « universelle », évitant les exagérations inhérentes au genre animé, Anderson trouve l’équilibre magique permettant de titiller l’enfant qui sommeille en chaque spectateur adulte sans, justement, l’infantiliser. Le jeu des « interprètes », dont il est d’ailleurs réjouissant de s’amuser à reconnaître les voix (enregistrées, parait-il, en pleine nature pour qu’ils soient mis « en situation »), y est évidemment pour beaucoup puisque aucun d’eux ne force le trait, pas même ceux « incarnant » de jeunes personnages, comme Jason Schawrtzman qui prête sa voix au fils renard. Les personnages ont beau être un rien archétypaux (notamment les fermiers) et certains messages un peu faciles (l’acceptation des différences de chacun), Anderson fait passer la pilule par l’absence totale de solennité… et une mise en scène foisonnante de détails. Qu’il s’agisse des scènes de vie quotidienne de la famille renard ou des affrontements avec les fermiers, chaque plan témoigne d’un beau travail de (re)constitution qui stimule l’œil du spectateur autant qu’il l’amuse. La partition d’Alexandre Desplat est en parfaite osmose avec ce « cahier des charges », d’autant qu’elle se mélange à quelques chansons pop, mixture pour le moins gonflée et dépaysante dans ce type de spectacle.
Tous ces éléments permettent donc au film de se démarquer d’autres productions de qualité mais plus commerciales dont on sort pourtant comblé, presque ivre de couleurs et de musique. "Fantastic Mr Fox", contrairement à la plupart de ces dernières, provoque cette irrésistible envie d’y revenir, comme au sortir d’une expérience si riche que ses diverses nuances ne peuvent être pleinement savourées d’une traite.