Waris Dirie a été excisée à l'âge de trois ans, comme des milliers d'autres filles chaque jour en Afrique, en Asie et dans les pays arabes. Six ans plus tard elle a fuit la Somalie pour éviter un mariage forcé et a rejoint l'Europe. Après une décennie de précarité elle est devenue mannequin, puis après son témoignage dans Marie-Claire, ambassadrice de l'ONU au sujet des mutilations sexuelles. Sa biographie sera portée à l'écran avec Fleur du désert, de Sherry Hormann, où une égérie de la mode encore en exercice l'interprète (Liya Kebede). La séance est en ligne droite, avec quelques flash-backs de plusieurs minutes : le mariage enfant, en tant que quatrième épouse du vieux Galool Mohammed, qui y a mis un bon prix ; sa fugue réussie pour rencontrer sa grand-mère (après avoir traversé le désert) ; sa mère l'envoyant en Europe puis l'arrivée ; finalement, l'excision sous le soleil et le regard des vautours. Anonyme dans la forme, cette biographie très didactique et non-revancharde charme grâce à son équilibre et évite de raisonner ou verser dans l'idéologie. Les émotions sont souvent appuyées mais en toute transparence et les pistes polémiques sont affichées sans être sondées (toutes celles liées au racisme ou à la 'compassion victimaire' notamment – le mariage 'blanc' tournant sale) ; le spectateur reçoit des faits concernant l'excision et a des libertés pour apprécier l'ensemble (par indifférence ou économie de la part des auteurs).


Le film se propose comme une sorte 'd'exorcisme' pragmatique, retraçant la sortie d'une emprise. Waris reste longtemps colonisée par ses bourreaux, dans son esprit, son comportement (sur-habillée, phobique envers les hommes, craignant toute proximité physique) et ses repères moraux (une femme c'est une femme excisée, la chasteté est la seule option). Ses expériences l'ont rendue à la fois paumée et pourtant assertive : elle garde une sorte de maladresse, s'exprimant par des postures engourdies ou des retards au présent. À Londres depuis six ans, elle ne connaît toujours pas la langue locale ; c'est restée une étrangère complète, une espèce de souris effacée et obstinée, son repli maladif et son dédain compulsif la maintenant dans les difficultés et la souffrance, sa nature combative la maintenant à flot. Décalée à en être absurde lors de son entrée dans la mode, elle connaît une absorption rapide et une ascension fulgurante. Elle se sent vite humiliée, même en accédant à la célébrité ; mais elle est à l'aise lorsqu'elle doit s'exprimer, trouve sa légitimité quand ses inhibitions exagérées se lèvent. Le film montre la peur absurde et surtout injuste du sexe qu'elle a hérité de sa mutilation et de la phallocratie barbare dont elle s'est arrachée. Lors d'une scène où elle se poste face à un magasin de voiles, elle trouve l'équivalent de sa propre prison, imposée depuis l'extérieur.


Pour autant, le film ne formule pas d'attaques contre la religion, en tout cas pas directement. Il distingue la mutilation des traditions somaliennes grâce au passage chez la grand-mère, sans quoi il resterait au déclaratif. Les parti-pris sont positifs : féministe forcément, puis à propos du pardon. Waris refuse de charger ses 'bourreaux', bras droits de cette domination injuste et de pratiques débiles. Le scénario (et dans une moindre mesure la mise en scène) montre un environnement qui écrase et des gens qui s'en accommodent ; Waris est une femme qui s'en 'tire' – du malheur et de l'aigreur. Il faut dire stop aux enchaînements vicieux, regarder l'horreur avec conscience et pudeur, en tirer des leçons sans haine ni mépris pour les pauvres 'objets' nécessaires à ces séquences maudites, à ces pseudo-réflexes aliénants. Fleur du désert alerte toutefois sur l'importation en Europe et aux USA des pratiques et des mœurs dont Waris a fait les frais. Lors de son passage chez le gynécologue, l'assistant chargé de la traduction est un type du 'pays' qui blâme et menace au nom des traditions, des devoirs sociaux et familiaux, alors que Waris n'est pas concernée par des sentiments de défiance.


Le spectacle est efficace et plutôt grossier (surtout au début pour illustrer la crainte des hommes de la part de Waris ; la perplexité de l'une, l'intérêt d'un autre). Les allégories et symboles sont répétitifs et naïfs, avec un potentiel affectif mais une portée faible pour le reste. Les personnages peu subtils, mais avec la vertu qui justifie et compense cette tare : c'est-à-dire, des portraits féroces, des 'archétypes' clairs et efficaces – portant avec eux des attitudes significatives, sociales (concours de vanité, démagogie envers 'l'autre' ou 'l'exotique', catégorisations pauvres – la bêtise précédant bien des 'maux' et maladresses) ou plus primaires (les 'vigiles' blasés et les oppresseurs/coupeurs sous hypnose, les ego explosifs : autant de gens pathétiques car agissant sans contrôle ou lucidité). Les deux femmes clés de la vie de Waris sont des excitées : l'amie Marilyn est son négatif, ne connaissant aucune réussite, sinon pour rameuter des hommes dans son lit ou 'jouir' en général ; la patronne dans la mode est une exubérante impitoyable, ultra affectée, apparemment possédée par le credo 'la meilleure défense c'est l'attaque'. La première doit être sympathique selon les concepteurs du film, au sens de gentille excentrique ; La seconde relever de la peau de vache penchant vers son côté lumineux, car reconnaissant le génie de sa recrue. Le point de vue d'ensemble est très féminin et donc facilement 'trop' : cette tendance se manifeste dans les enthousiasmes, mais les auteurs ont la bonne idée de les garder comme des 'à-côté'. Le délire 'passer du sable putride aux paillettes' est très secondaire. Reste que le film s'adresse principalement aux femmes et sensibilise au rouleau-compresseur pour les autres. Enfin la BO est grasse : musique de pub pour chaudière ou théière la jouant imaginaire humanitaire, ou mielleux effervescent avec coulures bien pâteuses lors des shootings.


https://zogarok.wordpress.com/2016/09/08/fleur-du-desert/

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le 21 août 2016

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