J'ai vraiment trouvé ça très bon. Ce qui frappe dans ce film, c'est sa violence et son traitement de la sexualité : particulièrement explicites, tant dans la crudité des images que dans celle des dialogues. Parlons-en de la violence : elle est ici en parfaite concordance avec les obsessions du cinéaste. Hitchcock a su évoluer avec son temps et ce film le montre bien : sorti en 1972, le film s'inscrit dans un cinéma qui se défait du conservatisme qui le limitait à bien des égards. Le cinéaste a toujours su s'adapter avec la censure (dans sa filmographie, Psychose est sûrement l’œuvre qui le montre le mieux ) mais celle-ci, d'un autre côté, l'empêchait tout de même d'avoir une liberté totale sur le degrés de violence et le traitement de la sexualité que ses films devaient avoir (et c'est bien entendu cette limite qui participe grandement à la qualité de ses films puisqu'elle lui permet d'adapter sa mise en scène en contournant la censure et en offrant de véritables morceaux de bravoure : l'exemple parfait est celui de la douche dans Psychose). Une grande partie des films d'Hitchcock sont violents dans les obsessions que le cinéaste met en scène mais rarement la violence et le pessimisme de ces obsessions ne se traduisaient explicitement à l'image, à l'exception de certaines de ses œuvres les plus fameuses comme Les Oiseaux (qui contenait tout de même une bonne part de violence implicite puisque celle-ci reposait en grande partie sur une longue combinaison de métaphores) ou Psychose (qui entretenait davantage l'illusion d'une violence des images qu'une violence bien réelle). Pas de Printemps pour Marnie, quant à lui, est peut-être bien le premier film de sa filmographie qui aborde avec une crudité davantage marquée le rapport entre violence, sexualité et traumatisme (en faisant probablement l'un des films les plus freudiens de son auteur). Avec Frenzy, la liberté du cinéaste semblait s'en être trouvée agrandie : dans celui-ci, il filme désormais sans détour des corps nus, meurtris, malmenés, une scène de viol particulièrement éprouvante et des dialogues moins feutrés et plus directs que ce qu'il avait proposé par le passé. Pour un cinéaste aussi freudien, une telle liberté est bien entendu la bienvenue. Car le pitch de départ est l'archétype du thriller policier freudien par excellence : un violeur et tueur de femmes en série, obsédé sexuel et dominé par ses pulsions, perpètre ses crimes par strangulation, au moyen d'une cravate (symbole de la masculinité), dans le but de satisfaire des désirs réprouvés par la société. A partir de ce postulat, le film met en place une intrigue et un scénario au déroulement implacable (Hitchcock place les moindres détails du film tel un joueur d'échec préparant son coup fatal) et à la violence terrifiante, enchaînant les morceaux de bravoure (cette scène au suspense ambigu du cadavre et du meurtrier dans le camion est véritablement grandiose) avec une mise en scène sachant faire preuve d'équilibre entre ce qui doit être montré et ce qui doit être suggéré. A ce titre, il faut bien citer ce magnifique plan (qui doit bien figurer dans le top 5 des plans les plus hallucinants de sa filmographie) avec la caméra qui suit l'assassin et sa future victime dans l'escalier d'un immeuble pour redescendre dans un silence de mauvaise augure et retrouver l'ébullition et l'effervescence d'une société ayant une conception bien arrêtée sur la normalité, alors que se commet dans la discrétion la plus totale un meurtre sauvage. Ce plan, d'une durée d'une minute environ (peut-être un peu plus, peut-être un peu moins mais qu'importe), en dit long sur la noirceur du film. Derrière le visage apparent de la normalité et du conformisme, se cache chez un individu moyen des pulsions primitives qui ne demandent qu'à être assouvies dans un silence absolu, à l’abri du regard des autres : à travers la déviance du meurtrier le film interroge, questionne sur la place de la différence, sur les désirs inavouables de tout à chacun et surtout sur les conséquences engendrées par les normes rigides d'un système. Il n'est nullement question cependant de placer le meurtrier sous le statut de victime : bien au contraire, celui-ci est un prédateur pervers et sournois qui agit dans l'ombre, trahit son ami, et exécute ses crimes avec une détermination inébranlable. Hitchcock joue ainsi sur deux tableaux : la laideur profonde de l'être humain et celle d'une société qui la pousse à ressurgir dans l'ombre. Je me rappelle que dans ma critique de Belle de jour (ça peut paraître curieux à dire mais les deux films ont quelques points communs), j'avais dit de Buñuel qu'il était le cinéaste le plus freudien qui soit. Aujourd'hui, plus j'y pense, plus je me dis que Hitchcock prétend largement aussi à ce titre (et ils ne doivent pas être les seuls). Ce sont deux cinéastes classiques qui ont évolué sur à peu près la même période, qui ont achevé leur filmographie à peu près au même moment et qui ont tous les deux réussis à cerner avec une acuité terrifiante l'être humain et sa place dans la société. Deux cinéastes qui ont évolué avec leur époque et qui, par bien des aspects, étaient même en avance sur leur temps.

Kahled
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le 11 févr. 2016

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