Ghost in the Shell
7.7
Ghost in the Shell

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1995)

« Même une poupée peut sembler avoir une âme »

Depuis le milieu des années 1980, Mamoru Oshii s’est taillé une solide réputation dans le milieu de l’animation japonaise avec des univers de science-fiction et cyberpunk comme Patlabor, parfois à la direction artistique sombre et à la narration cryptique à destination d’un public mature, comme l’œuf de l’ange. Il est ainsi très cohérent et prometteur de le retrouver à l’adaptation du manga Ghost in the Shell de Masamune Shirow qui connaissait alors un petit succès qui demandait à être étendue. Mais l’adaptation sur grand écran d’un manga aussi particulier était un sacré défi à relever, voyons comment Oshii s’en est sorti.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆


Comme il était impossible d’adapter tout le contenu des mangas déjà parus en moins de 1h30, l’adaptation choisit la voie de la synthèse du manga en son intrigue principale, celle du Puppet Master, en y simplifiant les événements tout en respectant ses grandes lignes. C’est un choix que je pense très cohérent étant donné la faible durée d’adaptation disponible par rapport au matériau original, même si ça donne lieu à une multitude de personnages peu, voire non, développés à l’écran. Ça n’est pas vraiment un problème puisque leurs quelques interactions sont souvent parfaitement cohérentes avec la manière dont ils sont développés dans la saga en dehors du film, ce qui est l’essentiel.


De plus, cette intrigue justifie d’accorder à l’histoire personnelle de Makoto une place centrale qui peut se suffire à elle-seule tant son dilemme intérieur entre corps et âme correspond à l’essence-même de l’œuvre, jusqu’à son énigmatique titre. Beaucoup de scènes contemplatives du film peuvent être analysées sous cet angle et alors prendre tout leur sens dans leur implication dans le récit. La silhouette de Makoto, évoluant alors dans une chambre vide avec une fenêtre centrale s’ouvrant sur une ville tout aussi inanimée qu’elle, devient alors porteuse du message selon lequel en dépit du rêve de Makoto songeant à sa naissance, elle est cruellement dépourvue de personnalité, d’émotions… alors que c’est peut-être le cas du monde lui-même dont elle ne peut être qu’observatrice.


Et toutes ces thématiques ne sont qu’induites, le film requiert un investissement du spectateur pour prendre pareil forme, une grande part d’interprétation s’impose, dans une bien moindre mesure que les propositions les plus radicales du réalisateur sur la question, l’œuf de l’ange en tête, mais tout de même. Ça donne un scénario en lui-même peu consistant tel que le film nous le raconte mais la démarche est intéressante et moi qui regrettait quelques peu l’éparpillement du récit dans le manga, c’est un défaut que l’on ne retrouve donc pas ici avec ce choix de s’attarder uniquement sur l’intrigue principale. Il en va de même pour les informations indigestes sur papier, ici nous retrouvons des dialogues relativement concis et toujours orientés vers la trame du film, non vers tout le potentiel de l’univers ou sa richesse.


La délocalisation de l’univers fictif inspiré de Kobe à la ville de Hong Kong permet tout de même de garder intactes les thématiques que l’environnement aborde par ses simples visuels, prédominance de la publicité, importance des machines, densité de population, apathie généralisée… et de rester dans un univers asiatique plutôt que de céder à la tentation d’un décor plus occidental pour des raisons commerciales douteuses. Ce n’est vraiment pas anodin quand on repense à toute l’importance prise par ces scènes contemplatives évoquées plus tôt.


L’adaptation choisit également de se concentrer sur un registre bien particulier en écartant totalement les traits d’humour du manga au profit d’un ton sérieux en tout temps. Au-delà d’avoir ma préférence personnelle, c’est sans doute préférable pour d’une part ne pas prendre le risque de désamorcer maladroitement les nombreuses scènes mélancoliques et quelques scènes anxiogènes du film, d’autre part s’adapter à l’intrigue principale retenue qui n’était pas celle pour laquelle les enjeux justifiaient le mieux les plaisanteries.


Bien évidemment, le respect a minima du matériau d’origine amène à ce que la fin semble aussi inachevée que celle du manga, c’était attendu et si l’on considère le film comme une porte d’entrée pour l’univers et non comme un récit se suffisant à lui-même, ça peut se comprendre mais c’est tout de même un sérieux défaut à mes yeux. Les choix narratifs du film s’accompagnent ainsi de forces et de faiblesses quasiment inévitables mais dans l’ensemble je trouve qu’il s’en sort bien en étant porteur d’un message intelligent de manière élaborée et complexe. Mais la plus grande réussite du film se situe ailleurs à mon sens.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆


Dans l’état d’esprit même de ce récit accordant une place centrale à la technologie, les animateurs ont fait usage d’images de synthèse et d’outils numériques variés pour dépeindre cet univers cyberpunk de la plus appropriée des manières. Le résultat est très convaincant dans l’ensemble même si les limites techniques du numérique des années 1990 se font tout de même bien sentir avec des décors parfois très statiques quand ils dépeignent des dizaines de personnages à l’écran, une synchronisation labiale parfois approximative même en VO...


Respectant le rythme du manga et toute l’importance octroyée à l’univers, presque davantage qu’à l’intrigue elle-même par moment, Oshii nous offre bon nombre de passages essentiellement contemplatifs où l’on observe paisiblement les décors à la hauteur des dessins du manga. Ainsi, l’une des plus célèbres scènes du long-métrage, communément appelée Ghost City, prend plusieurs minutes pour simplement montrer la ville sans que rien ne s’y passe de particulier, suspendant son récit pour seulement pour capter une ambiance et inviter à la réflexion sur cet univers, un choix osé.


Mais l’ajout extra-ordinaire de cette adaptation pour de tels moments, c’est bien sûr la sublime OST de Kenji Kawaï. L’usage du japonais ancien pour les paroles du thème principal, les chœurs au timbre de voix très folklorique pour les soutenir, l’incrustation de sons électroniques… permettent aux musiques d’être si hypnotiques en hybridant si bien tradition et modernité. Les paroles du chant principal traduisent quant à elles de façon poétique l’élément scénaristique principal du film du point de vue de la protagoniste comme de l’antagoniste, tout simplement brillant.


Par ailleurs, l’adaptation animée n’a pas manqué de retranscrire par son montage, ses sons et ses cadrages les volontés artistiques du dessinateur original, gros plan et mise au premier plan des armes à feu, vaste point de vue et lent scrolling sur les décors, ralenti sur les plans les plus iconiques et détaillés, sons électroniques pour déformer les voix passant par les cerveaux électroniques… et les spécificités du média permettent de mieux retranscrire certaines images du manga comme les tremblements ou les déformations, renforçant le malaise recherché par certaines images.


L’influence de cette direction artistique sera grande pour les années à suivre, à l’image du langage informatique en vert du magnifique générique d’introduction ayant influencé Matrix, phénomène de la décennie suivante. Ce générique est d’ailleurs une petite merveille du genre avec l’assemblage du corps extrêmement détaillé entrecoupé de visuels plus organiques mais toujours noyés dans le rendu visuel électronique. Les intentions comme la superbe artistique sont parfaitement annoncés en l’espace de quelques minutes.


Le seul point faible du rendu visuel d’un point de vue artistique, et il m’est vraiment regrettable, c’est le chara-design du major aux traits fermés, presque masculins, avec une tenue assez impersonnel, là où le manga l’a présentait très féminine, avec des poses très stylisées, des tenues vestimentaires assez recherchées, un visage très expressif… Elle représente une partie très importante de l’œuvre, l’adaptation choisissant en plus d’axer tout le récit sur elle, ou presque, au détriment des autres personnages, ne pas autant adhérer à son style visuel est par conséquent tout à fait dommage, même s’il reste heureusement quelques traces de sa superbe, à l’image de l’intro sur les toits.


CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆


Limité par l’efficacité du numérique de l’époque, entravé par un format trop court pour rester fidèle à son sujet d’adaptation, entaché par un chara-design décevant pour sa protagoniste… Mamoru Oshii parvient néanmoins à centrer intelligemment le propos de Ghost in the Shell avec une narration audacieuse et assumée se mêlant si bien à une ambiance captivante par sa très belle direction artistique et son extra-ordinaire OST. Le succès critique et commercial de ce film a propulsé sa franchise sur la scène internationale et ce n’est que tant mieux même si quelques réserves personnelles ne m’y font pas adhérer autant que certains.

damon8671
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures adaptations de BD au cinéma

Créée

le 10 déc. 2022

Critique lue 413 fois

3 j'aime

2 commentaires

damon8671

Écrit par

Critique lue 413 fois

3
2

D'autres avis sur Ghost in the Shell

Ghost in the Shell
Sergent_Pepper
9

Science, surveillance et ruines de l’âme.

Le drame des films futuristes réside dans leur condamnation à s’inscrire dans le passé : ainsi d’un temps à venir qui finira par advenir, qu’il s’agisse du Metropolis de Lang, du LA de Blade Runner...

le 29 mars 2017

136 j'aime

10

Ghost in the Shell
Gothic
9

Tears in Rain

Ghost in the Shell, un titre qui claque, et qui revient souvent au moment d'évoquer les meilleurs films d'animation futuristes, voire les meilleurs films d'animation tout court. Doté d'une qualité...

le 1 juil. 2015

124 j'aime

24

Ghost in the Shell
Hypérion
7

Les cyborgs rêvent-ils d'IA triomphant du test Voigt-Kampff ?

Regarder un film mythique sur le tard, c'est toujours prendre le risque d'être un peu déçu. Ghost in the Shell n'échappe pas à la règle. Anime de qualité malgré l'âge (bien qu'à mon sens, Miyazaki a...

le 25 avr. 2012

106 j'aime

38

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7