History shows again and again, How Nature points up the folly of men (Go-Go-Godzilla!)*

Blockbuster de haute volée, du genre à donner ses lettres de noblesse à un style de cinéma particulier, limite genre à part entière, Godzilla n'en n'oublie pas d'être profond et réfléchi pour autant. Ou presque.


Le hic, c'est que ce n'est pas tout le temps. Refusant de se faire avaler par la grosse machine hollywoodienne comme tant de jeunes premiers avant lui, Edwards n'hésite pas à insuffler un peu de personnalité à son film, premièrement en y allant adagio sur le rythme, quitte à s'inspirer des modèles structurels des tontons Spielberg et Scott, et surtout en prenant soin d'apporter son esthétique toute personnelle à l'équation. Pas de couleurs criardes, de lumières agressives et de CGIs déplacés, la photographie selon Gareth Edwards s'appréhende tout en douceur. Pas réaliste pour autant, juste plus agréable (et sobre !) esthétiquement parlant, et donc bien plus convaincant que l'habituelle bouillie de pixels aux couleurs over-saturées à laquelle on a le droit généralement. Les amateurs de Monsters (dont je fais inconditionnellement partie) seront en terrain familier ici.
Beaux miroirs donc, mais aussi épaisse fumée ; la panoplie idéale du parfait petit magicien visuel. Le cinéaste sait qu'il est nécessaire de ménager une première partie souvent un peu faible dans ce genre de situation, en prenant soin à ne pas en montrer trop, trop vite. Le lézard géant idole des jeunes est donc montré par petites touches, jusqu'à sa véritable apparition peu après le milieu de métrage, hashtag kikitoutdur dans la salle. Même quand il n'est pas question de Godzilla le film reste fichtrement sublime, surtout lors du premier acte où les décors ont encore une fonction autre que celle de destruction pure. Mention spéciale au passage à Janjira, ambiance The Last of Us assumée à 200%, l'impact visuel est très fort, encore plus fou que la séquence en question dure à peine plus de 5 minutes.


Mais comme nous vivons dans un monde fait de mais, et que le mois de Mai en est truffé, il faut bien que j'ajoute mon grain de sel à l'affaire. Techniquement parlant, Godzilla est irréprochable, c'est un fait. Personne n'attendait Edwards sur ce point, car il est désormais admis que le Sieur est un ténor du barreau (tout dur) en matière d'esthétique. Même l'étrange casting de Desplat à la musique ne dépareille pas tant que cela, c'est dire (bon, ce n'est pas fifou fifou non plus). Au niveau du fond, du récit, des personnages, c'est une autre paire de manches ceci dit. Non pas que le film soit mauvais là-dessus, mais mes attentes étaient sans doute un peu trop démesurées pour être comblées à leur juste mesure. Et c'est à cet instant précis que la grosse horlogerie hollywoodienne reprend le dessus : on peut se démener, foutre son pied dans l'engrenage pour en ralentir le mécanisme, la grande machine finira malgré tout par tourner, quitte à vous arracher le pied au passage.
Edwards a eu son mot à dire sur le film, certains passages le démontrent clairement : la séquence du début à la Jurassic Park, le retour dans la maison dévastée des Brody, le saut HALO, efficace dans sa sobriété (bien que le respect des lois de la physique a manifestement été le cadet des soucis lors du tournage de la scène). Il y a même des idées que l'on retrouve dans Monsters, notamment sur l'accouplement et la nidification des MUTOs, la notion de Nature en tant que divinité qui n'hésitera à péter une ou deux villes afin de reprendre ses droits. Bref, on sent le cinéaste se démener pour essayer de ne pas rendre une copie bête et méchante. Et d'un autre côté, il doit composer avec un script extrêmement léger, rempli de personnages fonctionnels et de rebondissements sans enjeux.


Je repense à The Dark Knight Rises, où l'absence de vision globale, de fil conducteur ténu, entraîne une multiplication des personnages et de séquences hétéroclites sans grand intérêt. Ici c'est un peu pareil, le film s'éparpille trop, se scinde presque en deux, voire trois films différents, au risque de désamorcer toute tension dramatique. Trop de personnages, trop de points de vue inutiles, pour finalement se concentrer sur celui de Ford Brody, archétype de héros américain (fuck yeah) pété de compétences utiles (ah tiens il est démineur, ça peut être utile avec une bombe nucléaire sur les bras), toujours là au bon endroit, au bon moment. C'est terrible, mais à partir du moment où l'on comprend que l'on va se fader Jack Ryan comme protagoniste (là où le film s'essayait habilement à brouiller les pistes en première partie), difficile de continuer à s'investir autant dans des séquences 'périlleuses'. Le héros va soit s'en sortir indemne et retrouver sa petite femme et son gamin insupportable, soit mourir de manière héroïque (parce que c'est sa fonction) en sauvant le Monde libre. Je ne spoile rien, on nous a simplement abreuvé de ces bêtises pendant des années, au point que cela devienne un réflexe pavlovien ; je vous laisse juger de la véritable issue à sa juste valeur.
Ce n'est pas un problème d'interprétation, remarquez bien, mais de script. Le casting s'en sort très bien dans l'ensemble, Cranston est excellent (qui en doutait ?), Juliette Binoche et Elizabeth Olsen (elle est devenue mignonne la petite :vivice:) font le taf, Aaron Taylor-Johnson et David Strathairn sortent des partitions sans risque de militaires américains (fuck yeah), dans le lot seuls Watanabe, l'oeil hagard, encore perdu dans les limbes de Nolan, et Hawkins, totalement transparente, peinent à convaincre. La faute à des personnages sous-utilisés, voire franchement inutiles quand ils ne sont pas réduits à une simple fonction objectivante (la palme revient à Binoche pour le coup).


Vous allez me dire : "Oui, enfin, dans un Godzilla, les personnages on s'en branle, on veut juste voir un lézard géant faire des german suplexes à des mantes religieuses en détruisant la moitié du décor". Oui, mais non. Dans un Godzilla, et a fortiori dans tout film typé Kaiju, les personnages justement comptent. Parce qu'ils sont en train d'assister à une terraformation express de leur habitat, et qu'ils représentent le premier vecteur d'empathie du spectateur, ils se doivent de bénéficier d'une attention toute particulière au sein du script. Les monstres, à côté, ne sont que catharsis, ils existent avant tout pour se foutre des mandales et pour que le public prenne position, pour son sauveur, son destructeur, les deux à la fois ou même aucun des deux au choix. C'est ce qui rend l'ignoble infamie d'Emmerich si révoltante, dans cette opposition entre êtres humains exécrables et dinosaure bouffeur de viande. C'est ce qui rend Pacific Rim un peu fade, puisqu'en dehors des délires d'otaku, des bastons dantesques, on n'a pas l'occasion de vraiment s'intéresser à la populace, ce pourquoi les Jaegers sont censés se battre au passage. Et c'est qui rend Monsters si génial, car sous couvert de vrai-faux film de streumons, on vit une aventure selon le point de vue exclusif des deux protagonistes, ce qui permet de ressentir une empathie (et donc une tension) exceptionnelle à leur égard. Et c'est ce que j'aurais aimé retrouver dans ce Godzilla cuvée Edwards, mais que je n'ai plus ressenti passées les 40 premières minutes, et ça, ça m'énerve, comme dirait l'autre.
Comme je le précise plus haut, ce n'est pas gênant au point de me faire détester le long-métrage, mais ça l'est suffisamment pour me sortir du film, même brièvement ; l'oeil ne se porte plus que sur les défauts par la suite. On passera sur l'apparente stupidité du plan humain ("On fait tout péter" "On a déjà essayé, ça n'a pas fonctionné" "BIN ON FABRIQUE DE PLUS GROS PETARDS §"), des rebondissements improbables et des deus ex machinas qui sortent du placard (ce dernier point serait presque une marque de fabrique Kaiju quand on y pense), tout cela est à mettre sur le dos d'un scénario certifié Derp pur jus. Les ellipses, un peu trop nombreuses, sont un peu plus chiantes elles. Elles font partie du langage cinématographique du cinéaste, certes, mais autant dans Monsters ça passait très bien car le but était de se focaliser sur le voyage de deux personnes au milieu de nulle part, autant ici elles ne font qu'accentuer la confusion au milieu de différentes situations, impliquant différents personnages dans des lieux radicalement différents. D'abord le Japon, puis ça pète à Hawaii, San Francisco est en danger, un streumon apparaît dans le désert du Nevada, puis les militaires remontent la côte ouest en train, géographiquement, tout cela fait sens, mais à force d'ellipses, de multiplication des points de vue, on ne sait plus ou donner de la tête ; et le seul souvenir que laisse le film c'est une succession de séquences chaudes et froides histoire de respecter le cahier des charges du parfait blockbuster rollercoaster, ce que le film n'a clairement pas l'intention d'être. Et puis ça parle majoritairement américain où que l'on soit, autant à Hawaii passe encore, mais au Japon, non, je regrette mais non.


Voilà, c'est malin, je suis bien énervé maintenant, il va falloir que je revoie ce film histoire de me passer les nerfs. Mais je croyais que c'était pourri ? Oui, mais non. En réalité, ça reste un blockbuster, et j'aime les blockbusters bien gaulés. Et si on se concentre sur ce qui est censé être l'attrait principal du film, à savoir Godzilla (même le film porte son putain de nom, merde), c'est même plus que bien gaulé, c'est franchement exaltant. Le voir enfin apparaître après toute cette attente montée comme des oeufs en neige m'a littéralement fait claquer mon boule sur mon siège. Oui, je deviens de plus en plus vulgaire, je vous préviens ça ne va pas aller en s'arrangeant, on est revenu au moi de 8 ans qui s'amusait à construire des villes en Lego pour le simple plaisir de les détruire à coups de savate là. Donc voilà, le Godzilla qui dépasse les immeubles de San Francisco, peut-être le plus grand à ce jour de ce que je peux me souvenir, l'équivalent de la Tour Eiffel au garrot et de Carlos en largeur (au bas mot), bin il fait claquer des fesses quoi. Il est juste massif et impressionnant, pas simplement grâce aux effets spéciaux bien fichus, mais grâce à un effet d'échelle bien retranscrit. La ville paraît minuscule à côté de lui, et par extension, les gens encore plus. Sauf qu'il n'y a personne dans les rues au moment de la grosse baston finale, et ça c'est moins fun. Ce n'est pas un passage obligé ceci dit, et je peux comprendre le besoin d'exorciser l'affreux cauchemar de la version 1998 en en prenant le contrepied le plus total, mais ça aurait pu être vraiment marrant si bien exécuté, en tout cas mieux que les passages à Hawaii et Las Vegas.
Bref, je pense que la bestiole bénéficiera d'un énorme capital sympathie ne serait-ce parce qu'elle a le mérite de passer après la version d'Emmerich (ah ah ah, j'en tremble encore), mais l'essentiel du cahier des charges est parfaitement respecté : immense et implacable force de la Nature, fait péter des villes d'un simple claquement de queue sans en avoir quelque chose à cirer, rugissement badass (et bien appuyé sinon c'est pas drôle) et rayon de la Mort qui déchire du poney (<3). C'est fun, ça détend, et l'espace d'un instant on se retrouve en enfance à encourager le lézard géant pour qu'il aille maraver la gueule aux chauves-souris radioactives. L'être humain n'est qu'un petit pet insignifiant à côté de cette débauche de taille et de puissance, et je trouve que le réalisateur arrive plutôt bien à retranscrire cette idée, même si, blockbuster hollywoodien oblige, il faut tout de même que les américains sauvent le Monde, ou dans ce cas précis, montrent qu'ils ont essayé malgré tout, quitte à faire péter une bombe atomique au milieu du Pacifique (et les seules personnes qui auraient pu éventuellement empêcher ça n'en n'avaient manifestement rien à faire, comment voulez-vous ressentir de l'empathie dans des conditions pareilles ?).


Je pense que je peux continuer à peser le pour du contre pendant des heures au sujet de ce film, il est donc sans doute préférable de conclure. Je ne sais toujours pas vraiment quoi en penser. D'un côté, c'est bien fichu, bien interprété (pour ce qui est fait des personnages c'est un peu du gâchis mais bon...), ça envoie une bonne dose de sensations (à défaut de proposer une véritable tension), c'est dans le haut du panier AAA des May-busters. De l'autre, on se retrouve face à un film en conflit permanent avec lui-même, limite schizophrène, partagé entre les travers habituels du genre et la volonté du cinéaste d'apporter sa touche personnelle, même si ce faisant il donne l'impression de remonter les chutes du Niagara à la corde. C'est en faible partie réussi, car on peut retrouver des petits trucs perceptibles mais intangibles de Monsters, ce genre de petits trucs difficiles à expliquer mais présents malgré tout. Mais dans l'absolu, cette lutte interne de tous les instants ne bénéficie pas au spectateur qui se demande en permanence sur quel pied danser. Le blockbuster n'est pas un genre mort, mais un genre qui a un grand besoin de renouvellement, comme le démontrent les pionniers des années 1970 qui peinent à sortir de nouveaux films excitants de nos jours. Certains cinéastes s'en sortent en adoptant à la lettre le mantra hollywoodien, en réutilisant à l'excès différents gimmicks, quitte à en saboter leur effet, dynamitant le genre de l'intérieur ; c'est le cas de Bird avec son Mission: Impossible 4 par exemple, ou même plus généralement des dernières productions Marvel, Avengers, Iron Man 3 ou Captain America 2, où les réalisateurs se jettent à corps perdu dans la facilité et le second degré assumé, au point de passer pour les bouffons du royaume consensuel. D'autres, comme Nolan ou Jackson (dans une certaine mesure), n'hésitent pas à donner quelques coups de pied (timides) dans la fourmilière, mais ils peuvent se le permettre car ils ont eu l'occasion de faire leurs preuves, et respecteront malgré tout la devise de Saint Harvey : "Il ne faut pas prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont. Merde, non, les gens sont cons, point barre.". Parachuté au beau milieu de ce bordel, je n'imagine pas un cinéaste comme Edwards arriver à imposer sa vision créative après un seul film (que je trouve personnellement excellent mais ayant reçu un accueil plus que mitigé), et c'est un peu le problème de ce Godzilla, un manque flagrant d'ambition, pas par volonté, mais par manque de moyens tout simplement.


Reste que même décevant, le film n'est pas raté pour autant et s'assure une place de divertissement de choix dans cette période un peu tristounette de l'année. Et vous ne me verrez pas lui mettre une note moindre, même si ce n'est pas l'envie qui manque, déjà parce que je suis un fanboy indécrottable, et ensuite parce que même si le film se plante à certains moments, il n'hésite pas à essayer des trucs nouveaux ou risqués au pays où l'immobilisme règne, et c'est plutôt rafraîchissant de voir qu'on essaye un minimum, signe que tout n'est pas encore perdu. Sûr, on était en droit d'attendre plus, mais ce que l'on a est déjà pas mal. Sur ce, je pense que vais retourner voir #KikiToutDur au cinéma, histoire de peut-être trancher entre cette histoire de bon et de mauvais, mais surtout histoire de me détendre un bon coup. Roar.

HarmonySly
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le 14 mai 2014

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le 15 mai 2014

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