Voilà un film qui retrace admirablement la rapide transition de la RDA vers l’Allemagne capitaliste à la suite de la chute du mur de Berlin entre octobre 1989 et octobre 1990 (réunification). Goodbye Lenin nous permet en effet de nous rendre compte à quel point les changements ont été rapides pour l’Allemagne de l’Est, qu’ils soient négatifs : des conditions de travail plus dures, les licenciements, la montée du chômage, l’ostalgie, l’alcoolisme de certains. Ou positifs : un vent de liberté, l’entrée dans l’ère de la consommation avec ses marques, les magasins remplis. Et surtout la fin de la RDA avec tout ce que ce régime comportait : la propagande, la répression, la peur de la Stasi qu’on voit en filigrane.

Les jeunes semblent attirés par cette évolution, voyant bien ce qu’ils gagnent, notamment un sentiment de liberté après un régime étouffant, tandis que les plus âgés voient disparaître toute leur vie, même si elle n’était pas rose : ils sont déstabilisés par ce changement, à un âge où on a souvent besoin de sécurité ; ils voient surtout ce qui est perdu et n’arrivent pas à faire le deuil de ce passé, qui ne pouvait pas être si mauvais que ça. Le film n’est pas centré sur eux, mais il montre bien leur désarroi.

Wolfgang Becker nous montre ainsi la rapidité de cette transformation, ne serait-ce que dans les tenues occidentales qu’on peut désormais se procurer, dans la déco, l’arrivée des marques occidentales (qui prennent la place laissée libre par la propagande déchue), et il nous révèle aussi les différences culturelles entre ceux qui ont vécu en RFA et en RDA.

Mais Goodbye Lenin est aussi une réflexion sur le mensonge. Le mensonge qui protège mais aussi celui qui enferme. Le mensonge au service du bien dont il est difficile de se dépêtrer. Comment s’en sortir en effet : persévérer dans le mensonge et la manipulation, ou un jour, dire la vérité ? Celle qui fera mal, mais qui est toutefois indispensable, salutaire. Un film par conséquent, sur le poids du passé, la difficulté de l’accepter, notamment quand sa perception évolue, même s’il n’est plus aussi beau qu’on aimerait le croire.

Le film est astucieusement réalisé, utilisant de nombreuses images d’archives mais aussi celles d’une caméra familiale, trace d’un passé en passe d’être révolu. On notera des clins d’œil à différents films de Kubrick, mais aussi à la Dolce Vita ou encore au Fabuleux destin d‘Amélie Poulain. Une douce musique accompagne judicieusement le film, elle m’a immédiatement fait penser à certains morceaux au piano de la bo d’Amélie Poulain, sans que je sache alors que Yann Tiersen en était également l’auteur, ce qui prouve une certaine constance dans la qualité et la pertinence des choix.

Le film est aussi caractérisé par de nombreuses touches d’humour qui s’insèrent intelligemment dans une histoire au registre plutôt dramatique : la recherche d’une boîte de cornichons, la présentation de la chute du mur comme une « gigantesque et spectaculaire récupération de matériaux », les explications foireuses de la présence de Coca-Cola dans ce qui était censé être encore la RDA, l’astucieux retournement des images de la chute du mur, qu’on présente comme l’entrée de jeunes de l’Ouest qui veulent se réfugier en RDA : un amusant renversement des images d’archives, montrant s’il en était besoin que le commentaire est plus important que les images, qu’on peut faire dire tout et son contraire à une image en orientant le commentaire dans le sens voulu : encore une réflexion sur la vérité et surtout sur sa manipulation.

Toutefois, malgré des qualités nombreuses, il faut tout de même constater dans ce film quelques maladresses ou choix pour le moins discutables, sans trop développer : le bébé qui fait avec beaucoup trop de facilité ses premiers pas ; le plan au ralenti de l’hélico transportant la statue de Lénine le jour où la femme sort pour la première fois alors qu’elle ne sait encore rien, avec la statue de Lénine qui lui passe à quelques mètres, Lénine semblant lui tendre la main avant de disparaître devant un soleil déclinant (pas encore tout à fait couchant, dieu merci)… Bref, un usage de la métaphore visuelle ou langagière peut-être un peu lourd, trop de paroles à double sens (que comprend le spectateur mais pas le personnage).

On pourrait aussi reprocher des facilités dans certains éléments du scenario : la mère tombée dans le coma pendant huit mois, c’est vraiment pas de chance, elle rate la chute du mur, les premières élections libres, l’ouverture au capitalisme, le coca, etc. On peut trouver ça facile, en même temps, on ne choisit pas quand on tombe dans le coma, ça arrive même souvent quand on ne s’y attend pas… Certains critiquent l’artificialité de ce choix scénaristique, d’autant plus qu’il faudrait cacher la vérité à la mère pour éviter un nouvel infarctus. C’est vrai que tout ça est un peu superficiel, pas forcément réaliste, mais ce choix scénaristique est ici au service d’un message, d’une description : en soi l’histoire est un peu bidon, mais c’est un prétexte, pour évoquer avec pas mal d’humour un épisode important de l’histoire. Une situation un peu bizarre pour décrire de façon décalée mais juste une réalité : le film passe à mon sens beaucoup mieux que si c’était juste un descriptif de ce qui se passe durant cette année, ça apporte des éléments comiques qui adoucissent la présentation et permettent au final un film touchant et équilibré, présentant les changements dans leurs différentes composantes. Ni complètement anti RDA ni à fond pour le capitalisme.

Bref, un film intéressant, avec un côté un peu documentaire nous permettant d’imaginer ce qu’était la RDA et ce qu’a représenté pour les Allemands de l’Est, de façon à mon avis équilibrée, la fin du communisme et l’absorption de la RDA par la RFA.
socrate
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le 26 janv. 2013

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socrate

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