Avec Gran Torino (son "supposé" dernier film en tant qu’acteur), Eastwood a manqué en douceur sa sortie de scène. Non pas dans l’interprétation impeccable de son rôle écrit sur mesure (celui d’un vétéran de la guerre de Corée, bougon et irascible, fâché avec l’église, sa famille et son voisinage), mais principalement dans la concrétisation, dans le développement de cette œuvre imparfaite, indolente et gauche. Le laborieux mélange des genres (chronique douce-amère, comédie initiatique, drame social et suspens) infirmerait presque toute critique éventuelle et analyse tangible. Gran Torino se montre peu convaincant (et surtout rébarbatif, voire consensuel) dans l’étude d’un apprentissage générationnel et d’un règlement de comptes déjà vus mille fois ailleurs.

Il est en revanche beaucoup plus émouvant quand il montre, simplement, l’inéluctable témoignage d’une vieillesse ennemie et la solitude d’un homme amer en proie à ses démons de guerre. Plus poignant quand il observe un homme seul sirotant tranquillement sa bière, puis découvrant soudain qu’il en a bu une douzaine auparavant. Plus touchant quand il est aux côtés d’un homme dans son bain parlant à sa chienne, crachant son sang ou appelant un soir, parce qu’il a compris qu’il n’avait plus le temps qu’il faut, un fils qu’il n’a jamais su ni appris à véritablement aimer… Ces quelques instants dérisoires, pudiques et nuancés, montrés sans artifice et sans fausse dramaturgie, sont incontestablement noyés dans une intrigue béante, rabâchée, censée se jouer des apparences et des stéréotypes (qu’elle accumule, de fait, jusqu’à l’implosion scénaristique).

Le film, dans son dernier quart d’heure, prend une tournure plus sombre et plus rêche. Sa dimension tragique, sa signifiance expiatoire, parviennent alors à faire sens et autorité. Gran Torino devient, à rebours et in extremis, un film intime et mélancolique sur la vie, la mort, la rédemption et le sacrifice de soi, et sur l’héritage qu’il est possible de laisser de toute une existence achevée. Il aurait pu être la belle œuvre testamentaire d’une légende de guerre (Kowalski) ou de cinéma (Eastwood) vieillissante, amenée à passer le flambeau et à se dérober un jour, mais pour n’être finalement qu’un film sans surprise, mollasson et poli, techniquement irréprochable (la lumière vert-de-gris de Tom Stern, la musique discrète de Kyle Eastwood), mais aveuglément encensé, comme si l’on n’osait plus déboulonner la grande statue du commandeur qu’est devenue Eastwood.
mymp
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le 17 déc. 2012

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