Par où commencer ? J'ai découvert Gran Torino un soir d'été, seul. La nuit se profilait doucement.

Walt Kowalski est un vieil homme aigri, vétéran de la guerre de Corée, qui habite avec ses douloureux souvenirs dans un pavillon de banlieue. La banlieue en question est mal famée : de nombreuses bandes y traînent, emmerdant ça et là quelques passants, des jolies filles, des commerçants... mais surtout, une famille Hmong, un peuple d'Asie montagnard, vient juste d’emménager à côté de chez monsieur Kowalski. À son gout, le quartier n'appartient plus aux américains mais aux asiatiques (et un peu aux afro-américains, aussi) puisqu'eux seuls veulent y habiter.

J'ai la nette impression que Gran Torino souhaite dresser une critique des États-Unis d'aujourd'hui alors qu'il s'y déroule et s'y complaît. Son imagerie contemplative couleur de cendre révèle les drames d'une crise économique et sociale qui sévit dans les banlieues des métropoles mais également ceux d'une violence vécue par les honnêtes citoyens et infligée par les voyous. Kowalski contemple la déconfiture de son pays, voyant d'abord des envahisseurs en tous les non-américains mais entame progressivement son ouverture d'esprit pour finir aux côtés de ceux qu'il soupçonnait les moins amicaux : les Hmong.
La relation qu'il entretient avec Thao, le jeune fils de la famille, est d'une sincérité touchante et je crois bien qu'elle porte tout le message du film : « abattez vos préjugés, l'ennemi n'est pas toujours là où on le croit ». En premier lieu c'est celle de l'honnête citoyen et du voyou, puisque Kowalski empêche Thao de voler sa Ford, ensuite c'est celle du mentor et de son élève, l'ancien en apprenant au jeune sur le quotidien d'un américain moyen, puis c'est celle de deux amis quand les clefs de la voiture passent de main entre les deux.
Ce schéma n'est pas celui d'une descente aux enfers même si Gran Torino finit mal pour son personnage principal. C'est celui d'un drame juste qui nous donne de l'espoir pour traverser la vie mais qui nous dit aussi d'être fort car parfois c'est une pute qu'il nous faudra apprivoiser. Ne jamais se démonter, ne jamais se laisser faire.

Aux derniers plans, au dernières secondes, aux dernières notes... on s'en retire empli de sentiments contraires : de l'amertume parce que le film est triste, parce que les personnages ont vraiment une vie de merde, de la satisfaction parce que justice à été rendue, pas divine mais presque, la happy end étant donc totalement justifiée, et de la fébrilité parce qu'Eastwood est franc à en devenir acariâtre sur ce que peut être la vie quand elle s'acharne sur celui qui n'a rien demandé à personne. Comment ne pas y être sensible ? Je vous pose la question. Clint Eastwood a toujours su manier sa caméra et l'emmener vers des terrains nouveaux, dans le quotidien d'américains tous très différents mais forts car lucides et authentiques.

Un beau film de monsieur Bois de l'Est. Ensuite, il a fait nuit noire.

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le 7 août 2014

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AnarchikHead

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