Pourquoi les films de guerre américains actuels sont-ils de plus en plus épileptiques, parkinsoniens ? Pourquoi le chaos doit-il forcément s'exprimer par une hystérie visuelle ? Faut que ça fasse vrai ! Le tremblement de l'objectif permet une immersion brutale dans la réalité du conflit, une crédibilité plus grande, prétendent les cinéastes qui s'y sont essayés. On aime le « style » documentaire à Hollywood. Tellement qu'on en use jusqu'au délire. Faut que ça fasse vrai ! On trimbale la caméra dans tous les sens, avec affolement, on utilise des plans de deux secondes, on rajoute du grain, beaucoup de grain, on bourrine dans le brouillon. Faut que ça fasse vrai !

Ignoble prétention. En se ruant dans un réalisme forcené, en surchargeant l'image d'aspérités, on ne réalise plus de films. On se perd dans un no man's land, quelque part entre la fiction et le reportage, en trahissant simultanément les deux postures. Chassez le style, le style revient au galop. Paré de ses plus grosses ficelles. Celles de Green Zone sont énormes. Un commandant de l'armée américaine, enlisé dans le bourbier irakien, découvre que le prétexte de la guerre (les fameuses armes de destruction massive) a été fabriqué par le gouvernement de sa chère patrie. Tous les moyens seront bons pour faire éclater la vérité, ou l'étouffer, selon le camp auquel on appartient. Au simplisme de ce scénario sans surprises répond la surenchère paradoxale d'un film d'action qui n'assume pas son genre. On a l'impression que Green Zone ne raconte rien (puisque tout est mensonge...), l'intrigue restant rivée à l'immanence bête et méchante de ses faits. L'enchaînement hystérique de plans ultra courts et saccadés à l'extrême ne donne aucun rythme à l'ensemble, aucune cohérence, mettant seulement les yeux à rude épreuve. Le style reportage ne lui confère aucune authenticité, ne provoque aucune immersion. Juste une effroyable migraine.

Pire : banalisé par l'aspect outrancièrement documentaire, le conflit irakien finit par perdre tout intérêt cinématographique. A quoi bon produire des films d'action si leur dimension spectaculaire doit s'étioler dans une mise en scène brouillonne jusqu'à l'insupportable ? Paradoxe hollywoodien d'un cinéma mutilant son organe vital : l'œil. Apocalypse Now, Platoon ou Full Metal Jacket offraient une vision de la guerre du Vietnam. Green Zone et ses confrères, Démineurs en tête, ne montrent rien. Montés à la tronçonneuse, portés par des comédiens aussi inconsistants que leurs intrigues, ils se heurtent lamentablement à la réalité d'un conflit insaisissable jusqu'à l'absurde. Avec Jarhead (2005), Sam Mendes avait pleinement saisi cette absurdité. Avec lucidité et finesse, il en avait fait le moteur angoissant et halluciné de sa mise en scène. Son film ne dépeint que la première guerre du Golfe, mais grâce à ses qualités esthétiques et à l'admirable recul dont il fait preuve, il reste l'évocation visuelle la plus sensée de tous les conflits américains en Irak.
TheScreenAddict
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Le 6 août 2010

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