Bataille plus Oshima plus porno graphique : c'est l'alléchant programme à peine bourratif de Guilty Of Romance, hallucinant film japonais qui entend dresser un bilan complet et exhaustif de la sexualité des femmes du pays à travers trois témoins (la détective indépendante, la professeur libérée, la housewife coincée et réifiée) un peu trop représentatifs. Essayons de résumer : en gros, la détective enquête sur une affaire de meurtres autour du « Château », quartier de Tokyo où des femmes le jour propres sur elles s'adonnent la nuit à des parties de jambes en l'air sauvages. Parmi ces femmes disparues, la prof BCBG qui, choc, quand la lune tombe lâche ses cheveux, met une robe de prostituée et aborde les passants avec des punchlines sans équivoque, et on découvrira comment cette prof pas catholique a pris sous son aile un brin malveillante l'épouse d'un écrivaillon érotique à succès cloîtrée dans sa maison aseptique à longueur de journée et rêvant d'émancipation. Il est très difficile en France de voir un film de ce Sono Sion parait-il : Guilty Of Romance arrive d'ailleurs avec une petite réputation car c'est le premier à bénéficier d'un distribution à peu près convenable. C'est vrai qu'on les comprend, les distributeurs, il a l'air très borderline et sans limites, ce gars-là. Ah oui, et un peu manchot quand même. Le problème est peut-être là aussi, même si n'ayant pas vu ses précédents brûlots, on se gardera bien de tirer toute conclusion hâtive.
Mais, sur la base de cette seule pour l'heure pièce à conviction, l'argument du manchot paraît plutôt valable, parce que pour aller vite, Guilty Of Romance, c'est un peu tout et surtout n'importe quoi. Dommage tant le double postulat s'engageait d'abord sur une voie plutôt alléchante : le croisement de deux intrigues appelées à être morbidement reliées promettait une hybridation intéressante entre polar coréen poisseux et récit d'initiation érotique très japonais, une sorte de cocktail détonnant de deux grandes tendances du cinéma asiatique de ces dernières années. Mais cette promesse théorique s'écroule avec une extraordinaire précocité une fois à l'écran : c'est que très vite tout sonne faux dans cet entremêlement narratif ambitieux, et au fur et à mesure que l'intrigue avance et qu'on découvre l'étonnante superposition de personnages secondaires abracadabrantesques (le grotesque mac d'opérette, l'insupportable agent de mannequinat...), on comprend qu'il y a quelque chose de pourri à l'intérieur même de Guilty Of Romance. Et pour cause, ce quelque chose s'avère assez rapide à identifier. On a en effet rarement vu cette année un film plus ivre de son propos et de ses effets que celui-ci, et ce au mépris total de la cohérence formelle et de la maîtrise narrative, que Sono Sion s'empresse de troquer pour un costume de redresseur de torts cynique, ou plutôt de hautain dézingueur à tout va, une panoplie tout de même bien plus commode que les modestes qualités du bon metteur en scène quand il s'agit de choquer le petit-bourgeois et non d'essayer de faire un film qui tienne un tant soit peu la route.
Car le grand souci ici de Sion, pour sa grande intronisation dans les salles obscures de tous les pays libres, était sans doute de faire un film « qui dérange » : personne n'a eu la bonté de le prévenir qu'il n'y avait pas meilleur moyen de se planter complètement. Du coup, les rares pistes pertinentes et un tant soit peu troublantes du film se trouvent rapidement noyées sous des poses imbuvables de cinéaste « à fulgurances » (comprendre « à fausses bonnes idées »). C'est que, par définition, les fulgurances ne durent pas assez longtemps pour cacher la misère, et le vernis arty-destroy de Sion craquèle sous les incohérences et les faiblesses au moment de montrer ce qu'il a sous les ongles. Le personnage de la femme au foyer typiquement, dont Sion commence par bien montrer l'aberrante et stupéfiante condition, s'écroule dès que commence son émancipation et dès qu'il s'agit de devoir montrer un rituel par la force de l'image : son échappée pas si belle sera donc filmée sans aucun tact (la métamorphose en pute de luxe aguicheuse, merci du raccourci), avec des sabots énormes (le recrutement pas crédible une seconde de l'agence de mannequinat), et avec comme seul recours un intolérable et complaisant étirement à l'infini des scènes estampillées « choquantes » (l'impossible scène de répétition à poil devant le miroir, qui aurait pu aussi bien durer 1h30). On vous fera grâce de la liste exhaustive de tous ces moments où Sion, sans aucune ressource, cède à ce genre de martèlement vulgaire et embarrassant : disons simplement que pour le bien de sa grande réflexion sur les dangers du désir et de la licence, le film se finit en bataille malsaine de ballons de peinture dans des draps immaculés, et qu'une fois son humiliation terminée la jeune héroïne se retrouvera irrémédiablement à pisser dans la rue devant des enfants ébahis. Ouais. Mais ces tentatives si évidemment désespérées de « bouger » le spectateur ne font en définitive que traduire l'impasse dans lequel se trouve dès le début Guilty Of Romance : hystérique (interprétation unanimement catastrophique), grand-guignolesque, désincarné, il est un film de papier, jamais crédible, jamais immersif, et donc, surtout, jamais dérangeant.
Mais plus cruelle encore est cette question : Guilty Of Romance est-il même un bon film de papier ? On a dit toutes les promesses de l'idée d'origine, mais une fois celles-ci accolées au résultat final, on serait bien en peine de dire où Sono Sion a voulu en venir. Après tout pourtant, on n'aurait eu aucun mal à se contenter d'une fine observation des mœurs sexuelles et des étranges conventions de la bourgeoisie de son pays, mais le metteur en scène est tellement pressé d'en venir à sa pochade sadienne, qui ne tient d'ailleurs jamais la mesure entre comique dégénéré et sérieux de l'étude condescendante, qu'il met tout de suite en place un incompréhensible rouleau compresseur théorique qui brasse du vent et se vautre dans les pires clichés et la référence gratuite (le Château, au cas où vous ne l'auriez pas compris, c'est du Kafka, sauf que ça ne va pas beaucoup plus loin et que c'est martelé ad nauseam). Sono Sion tire ainsi à l'aveugle un peu partout : il fustige les fausses valeurs et le puritanisme petits bourgeois avant de condamner le désir d'émancipation sexuelle, il monte un réquisitoire contre la vulgarité des mœurs de son pays et s'y vautre les deux pieds en avant, il veut faire fi de toute politesse artiste et affecte des poses de poète élégiaque, bref il se dresse en empêcheur de tourner en rond et semble ravi de se regarder le nombril. Et cette vaine diatribe sans queue ni tête se tire même des balles dans le pied en hypothéquant jusqu'à ses possibilités narratives : l'enquête policière et le personnage de l'inspectrice sont tout bonnement charcutés au montage, et rendent par leur étonnante rareté encore plus bancale une trame déjà assez peu rigoureuse. A de rares occasions, malgré tout, Sion parvient à faire naître le malaise, quand il trouve des métaphores plus laconiques et plus glaçantes (cet étudiant qui harcèle la vendeuse de supermarché qui un jour s'est donné à lui parce qu'il veut « manger », et ne comprend pas qu'elle le rejette), ou quand il laisse le temps à son absurde pseudo-kafkaïen de s'installer pour une réunion de famille pour le coup vraiment dégénérée et assez drôle.
Pour le reste, Sion noie ses rares bonnes idées dans un salmigondis tout théorique qui laisse perplexe et agacé. Puis franchement hilare quand on comprend que le point d'arrivée de son assourdissante démonstration était visiblement un « le vice est partout » désolant, qu'il maquille en coup de théâtre sans savoir qu'on avait craint ce dénouement depuis le début. Tout ce temps crispés sur nos sièges pour nous rendre compte qu'on l'a regardé pisser dans un violon (les enfants comme les adultes peuvent s'épargner cette démonstration urinaire, en plus de l'autre, en n'y allant pas), et cependant, Sion semble fier de son petit coup de maître. Il se paie même un dernier regard face caméra de son héroïne, ignorant que sa victime exemplaire n'a jamais existé à l'écran, pour la simple raison qu'il a oublié de faire de sa démonstration pompière un film de chair et de sang. En l'état, Guilty Of Romance ressemble plutôt à un clip de J-Pop d'1h50 rompu de très éparses belles intuitions : c'est laid, strident, criard, cheap et illisible. A ceci près qu'à ma connaissance, aucun groupe de J-Pop ne s'est jamais pris pour les Beatles.
jackstrummer
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le 13 janv. 2014

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jackstrummer

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