" Est beau ce qui désespère ", disait Paul Valéry...


Il y aurait tant à dire au sujet de Guilty of Romance, de cette oeuvre cinématographique douloureuse et somptueuse ; de ses images bariolées comme par l'acide tokyoïte ; de son rythme insaisissable bercé par la sublime 5eme Symphonie de Mahler ; de ses exubérances et ses provocations succédant aux plus belles épiphanies poétiques ; de son langage propre, impur, formé de corps et d'abandons ; de son actrice, surtout : l'extraordinaire Megumi Kagurazaka, visage ingénu chevauchant corps de déesse, à la voix riante, innocente et souffrante...


Il est évidemment fort difficile de résumer un tel morceau de bravoure, exploration vertigineuse des fantasmes érotiques d'un Japon shooté aux shots ( au sens d'images mais aussi d'excès de jouissance : ici les photographes lubriques, là les dandys grotesques et proxénètes... ) en même temps qu'il plonge dans l'intimité d'Izumi, femme basculant avec équivocité dans ces mêmes fantasmes, sorte de figure métonymique de cette métropole en pleine déliquescence. Guilty of Romance de Sono Sion est surtout une quête initiatique, une incursion irréversible dans les tréfonds de la perversité, ses codes et ses convenances : ingratitude, manipulation, prostitution, duplicité ( le personnage de Mitsuko, mentor de l'élève Izumi, mène clairement une double vie puisqu'elle enseigne la littérature le jour pour se transformer en créature sexuelle la nuit ) et vénalité... Izumi, incarnée par Megumi Kagurazaka, s'agit explicitement de l'alter ego kafkaïen du Château, voyageuse en quête d'inaccessible et pourtant in situ ( The Castle, dans le film de Sono Sion comme dans celui de Michael Haneke est une réalité trop proche, trop présente, trop là pour être à portée de main ). Telle est le désespoir de Guilty of Romance : partir du milieu familier, conjugal et sécuritaire afin d'atteindre un Ailleurs immanent, inextricable en forme de trompe-l'oeil et de promesses hédonistes... Ailleurs qui - par son inaccessibilité - souligne la souffrance d'avoir quitté le foyer pour une spirale destructrice. Izumi, ange déchu par excellence, aura pratiquement tout perdu au sortir de la fable... Hormis, peut-être, le véritable sens des mots.


Beautés du film de Sono Sion ? Elles sont plurielles : Dans leurs manières de décupler les fantasmes sexuelles en jouant dans le même temps sur le mode du sublime et celui du grotesque ( à la flamboyance d'un geste pictural fuchsia répond une strangulation formée d'une langue pendante et d'un regard exorbité ; à celle d'une Symphonie de Mahler au lever du jour correspond un filet d'urine amorçant la débauche...) ; dans ce leitmotiv poétique clôturant le film pour mieux lui donner sens : le sublime poème On my Way Home qui renvoie au langage original et originel du film ( puisque effectivement Izumi n'aurait pas dû apprendre les mots...) ; dans son tourbillon de couleurs et de trouvailles scéniques ( la séquence à travers laquelle Izumi pose nue en répétant sa litanie sirupeuse devant son reflet, est incroyable ) et bien entendu sa simplicité rythmique faite d'instants de pure grâce comme autant de couplets poétiques...


Guilty of Romance reste à mon sens le chef d'oeuvre de l'incomparable Sono Sion, parce qu'il est d'une profondeur construite sur une gamme de nuances esthétiques et morales sans précédent dans sa remarquable filmographie ( à l'exception peut-être de son renversant Love Exposure, appartenant d'ailleurs à la même trilogie haineuse...). Voilà un beau film, torturé et gigantesque qui émeut et qui bouleverse. Sublime.

stebbins
9
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le 29 juin 2019

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