Une caméra subjective, un regard qui court sur les meubles, les objets.
Un regard enfermé derrière un masque qui ouvre les tiroirs, s'empare d'un couteau de boucher puis monte des escaliers.
Une jeune fille nue qui brosse ses cheveux. Le regard se rapproche et se fige sur le corps de la jeune femme.
Le couteau qui se dresse et s'abat violemment à plusieurs reprises sur le corps lisse et frais de la demoiselle, comme ensorcelé.
Puis ce regard descend l'escalier, sort dans le jardin d'un pas mécanique et se fixe au sol comme figé devant les phares d'une voiture qui arrive.
C'est quand le masque tombe, laissant apparaître un enfant effaré en habit de clown, couteau à la main, que la caméra revient à sa place, qu'elle cesse d'être un personnage pour redevenir un témoin, quelle abandonne sa subjectivité dans le sang.

Quinze ans plus tard, Michael Myers reste cet enfant dément, cette page blanche où rien ne peut s'écrire.
Michael Myers est devenu cette carcasse immense entièrement vide, cette bête d'asile élevée aux calmants et à la haine, un animal fou se nourrissant de ses propres peurs, alimentant cette folie dans ses souvenirs impurs.
C'est cet enfant de deux mètres et de cent trente kilos que l'on transfère de son hôpital psychiatrique en vue de son futur procès.
C'est ce gamin barbare qui s'évade et retourne hanter les lieux maudits de son enfance.

Troisième film de Carpenter et une entrée fracassante dans le monde de l'épouvante.
Big John lâche son croque-mitaine sur une petite banlieue pavillonnaire "middle-class" et compte les morts.
C'est au son d'une bande-originale d'une simplicité redoutable et d'une efficacité implacable, d'une réalisation d'un "classicisme" éclairé et virtuose que Carpenter va modeler la peur pour la décennie à venir.

Quelques notes de piano, trois accords plaqués sur un synthé et le voyage commence.
La gorge se serre instantanément, l'attention face à l'écran est tenue d'une main de fer dès les premières secondes.
L'immersion est complète et Big John te fout la tête sous l'eau à la première apparition de cette carcasse immense de Myers.
Tu te débats face à ce miroir qu'est Michael Myers, ce miroir sans visage, ces peurs au fond de toi, ces terreurs enfantines qui ressurgissent d'un lointain passé et qui se collent sur ce masque blême et inexpressif.

Se débattre, c'est déjà se noyer.

Carpenter appuie cette angoisse diffuse par une mise en scène d'une simplicité confinant au génie.
Une quiétude chaude et ouatée, une torpeur de fin de repas soudainement troublée par l'apparition par petites touches savantes du grand méchant loup.
Big John ne révolutionne pas la mise en scène, mais l'optimise au mieux avec (à défaut d'argent.) ce qu'il a: des idées et une vraie réflexion sur la "fabrication" de la peur au cinéma.
Des travellings dilatant le temps et l'espace, des champs/contre-champs originaux et anxiogènes, tout un éventail d'effets déjà existants mais qu'il utilise avec la finesse et les doigts de fée d'un artisan du cinéma qu'il est (et restera..).

C'est à un tour de "Montagnes Russes" que la réalisation du bonhomme nous convie.
Ce sont ces lignes droites, ces longs "plats" un peu ennuyeux avant ces descentes vertigineuses et ces loopings terrifiants.
Ce sont ces expositions de personnages, cette vie de banlieue semi-bourgeoise un peu plan-plan avant les apparitions effrayantes d'une silhouette au fond du cadre ou ces "jump-scares" traumatisants et ultra-efficaces (parmi les meilleurs aujourd'hui encore) distillés à la perfection.

Alors Carpenter a t-il popularisé (créé ?) le "Slasher" ?
A t-il codifié la peur pour les années à venir ?
A t-il créé le genre de cinéma "puritain" par excellence (sacrifiant les filles qui couchent et sauvant les vierges effarouchées, coincées du cul) ?

Peut-être... Sûrement.

Mais sur "Halloween", Big John s'est d'abord contenté d'effacer les traits, d'ôter toute personnification en abolissant le visage de la peur pour créer, avec le personnage désincarné de Michael Myers, la représentation de nos propres peurs.

Halloween c'est se regarder dans le miroir et ne pas se reconnaître, c'est y voir quelqu'un d'autre : le croque-mitaine.

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le 18 nov. 2014

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Ze Big Nowhere

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