Acteur multi-auréolé de service, Laurence Olivier est d'abord passé par le théâtre où il s'est illustré comme comédien shakeasperien et est devenu sociétaire. Il a aussi été réalisateur. Ce versant de sa carrière se compose de cinq films (le dernier, Three Sisters sorti en 1970, est souvent oublié des bases de données) et commence avec une trilogie tirée de Shakespeare. Henri V est la première adaptation, avant Hamlet puis Richard III. Ce coup-d'envoi sort en 1944 alors qu'Olivier est identifié par le grand-public grâce à ses rôles dans Wuthering Heights (de Wyler), Rebecca (d'Hitchcock) et 49th Parallel (de Powell).


Le film souffre d'un défaut d'incarnation. Les personnages ont l'air de marionnettes disciplinées, l'environnement n'existe que par leurs relations tièdes, du moins à la surface. Cette version d'Henry V a l'air d'une grande carcasse raffinée. La technique est soignée et en même temps, le carton-pâte reste obèse pour la majorité des extérieurs (y compris ceux perçus depuis les fastes intérieurs), par exemple lorsque les femmes bavardent sur le chemin de ronde. Le texte de Shakespeare est respecté et l'illustration a des qualités par 'tableaux', tandis que les mouvements de caméra savants et délicats fournissent un substitut de dynamisme. Jamais le film n'en tire d'intensité (ou alors résiduelle). À la place il pratique l'extension et répugne à synthétiser, relier, jouer avec le cours des étapes.


Le texte de Shakespeare (1600) délaissait aussi la carte du flamboyant, la myriade personnages et les nombreuses déclarations du Roi s'y substituaient presque à l'action. Mais il donnait souvent dans la dérision, arrivait aux sentences générales par des voies décalées, tenait sa fougue et sa profusion sous contrôle. Ce film essaie d'être dépaysant mais sa fidélité l'arrête tout de suite. Il aurait pu être une adaptation bien plus sèche et 'monochrome' mais le poids reste trop lourd. Olivier est à la fois figé à cause de l’œuvre tout se donnant des libertés sans éclats. Les facéties de la pièce sont liquidées (les côtés grands-guignols, comme l'altercation entre Nym et Pistolet constituant la scène III, sont coupés ou 'castrés'), quelques-unes résistent et sont nettement compartimentées (l'incontournable prologue devant le public hilare).


Le souverain est le seul à rester au premier plan et se distinguer sur l'ensemble du film, à demeurer digne, un peu distant et solennel, puis apportant les bonnes nouvelles et décrétant qu'il faut se mobiliser, s'enthousiasmer. Or c'est fade, en particulier lors des scènes où il est présumé haranguer ses troupes. C'est un peu comme s'il fallait des intertitres pour comprendre l'ampleur émotionnelle ou celle des enjeux ; les dialogues et la trame convenue jouent ce rôle, mais sous le verbal et les artifices habilement 'fondus', rien ne suit ni ne soutient. Cet Henry V est aux antipodes des films tirés des pièces de Tennessee Williams (La chatte sur un toit brûlant, Soudain l'été dernier), se déroulant dans des petits cadres, tournés vers les caractères et l'instrumentalisation pour mieux servir des torrents de dialogues qui n'ont pas besoin de mettre 'l'objectivité' dans la bouche des vivants.


Au fond le problème du film est sa préciosité outrancière mais dévitalisée. Olivier souhaite manifestement exhumer du prestige pour s'en couvrir ; ça sent le trip narcissique, avisé et rigoureux, s'en remettant à des valeurs sûres. Rien de gratuit ou qui ne vienne heurter le 'bon goût' dans ce film. C'est une illustration studieuse et monotone, un film 'pastel', proprement délavé. Avec une grande exigence pour les accessoires et la 'matière', un certain sens du détail, parfois des aperçus exquis et des panoramiques luxueux (quelques maquettes cumulent tout cela). Le dernier tiers contient les morceaux les plus sophistiqués, par leur importance comme épisode 'net' de l'Histoire (bataille, couronnement) ou les parti-pris, les angles choisis (pour valoriser une intervention d'excité ou les préliminaires du Roi et de sa reine).


https://zogarok.wordpress.com/2016/10/11/henry-v-olivier-1944/

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le 10 oct. 2016

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