La séquence d'introduction d'Hugo Cabret m'a quelque peu décontenancé. Le long traveling sur le quai de la gare Montparnasse, en dépit de sa belle fluidité et de sa beauté plastique, m'a en effet d'abord donné le sentiment de m'être fait voler sur la marchandise, de regarder un film d'animation dans le genre Pôle express de Zemeckis, avec des créatures numériques, et non pas de vrais acteurs faits de chair et d'os. Une impression heureusement bien vite corrigée... Avec cette adaptation d'un classique de la littérature enfantine signé Brian Selznick, Scorsese nous propose en effet un somptueux livre d'images et un vibrant hommage à son art.

Je n'étais jusque-là pas vraiment convaincu par la 3D (même sur Avatar), que je regardais un peu comme une attraction de foire (mais après tout, le cinéma était aussi considéré comme tel à ses débuts !). L'auteur de Taxi driver bouleverse profondément ma perception de cette technologie. D'abord parce que les effets obtenus ici sont à la fois spectaculaires et élégants. Deux scènes sont à cet égard particulièrement bluffantes. Celle où le policier se penche vers Hugo : il semble presque sortir de l'écran (Scorsese réalise le vieux rêve de Woody Allen dans La rose pourpre du Caire), au point qu'on a la tentation d'étendre le bras pour le toucher. Imaginez que ce soit Eva Green à la place de l'interprète de Borat : dans ce cas, ce serait plutôt ses lèvres que... cependant cessons de nous échauffer les sens (la faute à Shame !) et revenons à notre sujet... La seconde se situe vers la fin du film, au moment où Méliès est enfin honoré par ses pairs. L'espace derrière lui est sombre. Tout comme son costume. Seul élément éclairé, son visage flotte alors comme un hologramme.

Hugo Cabret remet en cause ma perception du relief au cinéma également parce qu'il nous fait revivre l'expérience des premiers spectateurs du cinématographe (comme on l'appelait à l'époque), qui, d'après la tradition, crurent en voyant L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat des frères Lumière que le convoi allait les percuter. La 3D nous rappelle ici que la profondeur de champ, l'immersion sont l'essence même du cinéma. Ce sont des notions que l'on avait perdues, notre œil étant aujourd'hui habitué à l'image animée. Le dimensionnement permet au public d'Hugo Cabret d'y être de nouveau sensible.

Au-delà de cet aspect, le Paris de Scorsese est une splendeur. C'est bien sûr une ville fantasmée, ainsi que l'était celle de Woody Allen dans Minuit à Paris. Mais c'est surtout un enchantement, comme peuvent l'être les illustrations d'un ancien livre de contes. Il y a évidement l'ensorcelant univers de la gare, qui est un terrain de jeu géant propre à faire rêver les enfants (je n'ai pas eu de mal à concevoir le bonheur d'Isabelle et Hugo, ayant eu moi-même la chance dans ma jeunesse de vivre dans l'un des plus fascinants monuments de Bourgogne...).

La reconstitution de l'atmosphère des années 1930 est de la même manière une absolue réussite, même si certains trouveront peut-être la photographie de Robert Richardson –entre autres Platoon, Wall Street, Né un 4 juillet, JFK, Casino, Nixon, Kill Bill, Aviator, Inglourious Basterds, Shutter Island- un peu trop chatoyante et les décors de Dante Ferretti -oscarisé pour Aviator et Sweeney Todd- trop léchés. Laissons les râleurs à leur mauvaise humeur ! Le square sous la neige, avec ses gisants, près de la maison de Méliès, est pour ma part une merveille...

Passionné par l'histoire du cinéma, j'ai évidemment été touché par l'hommage révérencieux rendu ici aux pionniers du Septième art, et particulièrement à son premier magicien. Il faut dire que Martin Scorsese est vraisemblablement le plus cinéphile de tous les réalisateurs en activité. On connaît son implication dans la préservation du patrimoine cinématographique, notamment au travers de la World cinema fondation. Et même si l'évocation de la carrière de Méliès se fait ici sur un ton sans doute trop didactique, c'est un ravissement de voir ce grand créateur inventer devant nous, dans son studio de verre semblable à une serre, un monde peuplé de nymphes et de Sélénites...

Mais le cinéaste américain ne se contente pas de convoquer l'auteur du Voyage dans la Lune (dont on peut apprécier au passage quelques extraits de la version restaurée et coloriée). Il cite aussi Fred C Newmeyer (lorsque, pour échapper au policier, Hugo rejoue la fameuse scène de Safety last ! où Harold Lloyd se retrouve suspendu dans le vide accroché à l'aiguille d'une horloge ), Charles Chaplin, Georg Wilhelm Pabst (et son actrice fétiche, Louise Brooks), Buster Keaton (Le mécano de la General), Louis Feuillade (Judex, Fantômas) et même Renoir, avec une image furtive du rêve de La fille de l'eau. Quant à l'automate, ne renvoie-t-il pas à la femme-robot de Metropolis ? Le cinéma est un art de l'illusion, de la beauté et de l'émotion, ce que ces séquences nous rappellent avec bonheur...

Hugo Cabret est plus imparfait sur le plan narratif. Il souffre ainsi de quelques ruptures de rythme. Je suis toutefois en complet désaccord avec ceux qui lui reprochent sa niaiserie ou qui regrettent que Scorsese n'ait pas construit une intrigue alambiquée à la manière du Prestige. C'est oublier que ce film est un conte ! Je reconnais qu'il hésite parfois sur le public auquel il s'adresse et que les aspects historiques paraîtront peut-être indigestes aux enfants. Il n'empêche... Il y a ici assez d'aventures, de décors féériques, de mystères, de transgressions d'interdits pour stimuler l'imagination des plus jeunes (et même des plus grands lorsqu'ils ont conservé une âme innocente... comme moi...), et donc les séduire. Ce dont aurait été incapable le cinéma de Nolan...

Le soin accordé à la forme aurait pu nuir à l'émotion. Ce n'est pas le cas. Deux scènes m'ont plus spécialement touché. Celle où l'automate commence à écrire. Hugo espère qu'il lui transmettra un message de son père disparu. Mais la machine ne trace d'abord sur le papier, au grand désespoir du jeune garçon, que d'indéchiffrables caractères. Puis le miracle se produit, les lignes forment peu à peu un dessin, celui d'une Lune grimaçante dans l'œil de laquelle est fiché un obus, et une signature : Georges Méliès. Une image du film que son père aimait tant...

La seconde met en scène les deux enfants essayant de trouver l'endroit où Méliès a caché le carnet d'Hugo. Repérant un tiroir secret dans la traverse supérieure d'une armoire, ils découvrent une boite, qu'ils font tomber. Des centaines d'esquisses et de croquis du cinéaste s'envolent alors dans la pièce, et flottent, tels de fantasmagoriques papillons que la 3D rend presque palpables...

L'interprétation est à la hauteur de ce superbe spectacle, Ben Kingsley en tête, véritablement habité par son personnage. Face à lui, Asa Butterfield est formidable de détermination. La jeune Chloë Grace Moretz apporte quant à elle ce qu'il faut de fantaisie et de fraîcheur à ce conte. J'ai moins apprécié l'interprétation de Sacha Baron Cohen. Il est vrai cependant que je n'aime pas trop cet acteur. Jean Dujardin aurait sans doute été idéal pour ce rôle...

Etrange année que 2011, qui a vu le taux d'équipement numérique des salles de cinéma françaises franchir le seuil des 50 %, certains établissements n'étant même plus équipé pour la projection en 35 mm (voir le rapport de CN Films), et un retour plus ou moins mélancolique aux sources de cet art (dont le support finit parfois en talon de chaussure pour femme...), avec The artist et ce film. Dans les deux cas, singulière coïncidence, des chiens occupent une place importante dans l'histoire. Faut-il mener Une vie de chien pour voyager aux origines du cinéma ?
ChristopheL1
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le 17 déc. 2011

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ChristopheL1

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