Les trois valeurs absolues en Grèce antique étaient (si je ne me trompe) le Beau, le Vrai et le Juste. Les trois étaient liés de sorte que quelqu'un de beau devait nécessairement avoir en soi une part de vrai et de juste, et que quelqu'un de juste apparaissait beau et porteur de vrai. Bref, on dirait que Nolan a bu à la fontaine grecque et a voulu conjuguer ces trois pôles pour nous servir un film entier.

Le Vrai, d'abord, défendu par l'équipe du film tout au long de la promo, et qui se ressent à l'écran. Ils n'ont pas utilisé de fond vert pour le tournage, les décors étaient visibles par les acteurs depuis l'intérieur du vaisseau par exemple. Les sets étaient entièrement construits, sans rajouts de détails à l'ordinateur. Les images de synthèse, ensuite, se veulent le plus "vrai" possible, au sens visuel et physique. C'est du niveau de la saveur, mais ça se ressent nettement, comme une sorte de respect du genre, des acteurs, et du spectateur.

Le Beau, ensuite, qui ne se lasse d'être montré sans jamais être exhibé. Le soin apporté à tout le visuel, le sonore, le rythmique, le narratif... Ce film est beau de bout en bout. Du point de vue du contenu de l'histoire lui-même, on retrouve une forme de beauté - la recherche du théorème parfait, qui trouve sa concrétisation immédiate dans un projet scientifique dont la finalité est noble. Les aspirations individuelles et collectives suivent cette direction et nous montrent un tout épais et cohérent qu'il est délicieux de voir, d'écouter et de suivre.

Le Juste enfin, se retrouve dans le ton. À quelques exceptions près (je pense ici au rôle du fils qui est injustement traité lors de la conclusion) l'ensemble sonne très juste alors que pourtant ça part dans tous les sens. Beaucoup de spectateurs ont rapporté ne pas avoir pu tout suivre, relier, comprendre, mais je n'ai pas été de ceux-là. Au contraire, en si peu de temps Nolan arrive à tout se faire tenir bien en ordre tout en donnant de l'ampleur à son sujet. Il ose partir dans la fiction - que certain trouveront niaise si du moins ils s'arrêtent à la sémiologie restrictive de mots comme "amour" - tout en lui faisant garder un pied dans la salle, si on peut dire. Pour protéger les maîtres du film spatial (Kubrick bien sûr) on pourrait vouloir lui reprocher son envolée finale, mais ce serait bien mal venu, tant elle apporte à l'ensemble du récit qui a précédé en lui donnant du sens.

De fait, sous le coup de la nouveauté, on s'emporte à juger le film et ses défauts comme rédhibitoires. C'est à mon sens aller trop vite. Une fois la hype retombée, on voit qu'il s'agit d'un film proposant une certaine intégrité, énormément de soin, et une histoire convaincante. Bien sûr, il y a toujours de la place pour se dire "ah mais si seulement il avait fait x et y, ou pas fait z", mais c'est plutôt un compliment fait au film et sa capacité de générer l'intérêt du spectateur. Nolan progresse lentement, et Interstellar ne fait pas exception, annonçant de futurs métrages encore plus aboutis.
IIILazarusIII
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le 27 févr. 2015

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