C’est l’histoire d’une mère qui se souvient, de son histoire, d’un mari disparu et d’une fille qui a préféré la fuir. Julieta se souvient. Julieta écrit une lettre. Julieta lit cette lettre pour que l’on puisse comprendre ce qui s’est passé, découvrant à l’écran ce dont Julieta se souvient et qu’elle écrit dans cette lettre, cette page blanche, qu’elle lit, à l’écran de ses souvenirs… Pedro Almodóvar a toujours aimé les mises en abîme, les emboîtements, les dédales scénaristiques, et ici il y en a un, encore, venant structurer ce drame banal de l’absence, du deuil et de la culpabilité, figé dans une sophistication glacée traduisant davantage, chez Almodóvar, une impossibilité à se renouveler qu’une soi-disant maturité qui, étrangement, semble se manifester, pour les critiques, à chaque nouveau film (alors qu’on en parle quand même depuis La fleur de mon secret, l’un de ses plus beaux films).


Trop balisé dans ses enjeux, ses références (Sirk, Bergman et Hitchcock en grands manitous) et ses correspondances (la maladie de la mère de Julieta et celle d’Ava, la mort symbolique de l’homme en noir et celle de Xoan, l’Odyssée comme miroir d’une tragédie intime, Ulysse manquant à Pénélope comme Antía manque à Julieta…), Julieta s’enlise dans un conformisme pépère, incapable de magnifier les (in)certitudes de cette femme face à ses fantômes et le grand secret de sa vie. Tous les motifs habituels du cinéma d’Almodóvar (récit gigogne, portrait de femme blessée, photos déchirées, couleurs vives et quelques jolis garçons ici et là…) s’empilent et s’égrènent sans rien dégager d’autre qu’une lassitude polie, qu’une esthétique rebattue (même la musique, insistante, d’Alberto Iglesias n’est qu’une redite poussive de ses anciennes compositions almodóvariennes).


Pire : ses deux actrices, Emma Suárez et Adriana Ugarte, sont d’une fadeur inattendue, ne transmettent ni émotions ni empathie, et parce que leur personnage sont, sans doute (sûrement ?), d’une densité jamais explorée, rarement acquise. Adapté de trois nouvelles d’Alice Munro, prix Nobel de littérature en 2013, Julieta ressemble pourtant à un mauvais roman-photo, Almodóvar échouant à y insuffler une vraie dimension dramatique, sinon une accumulation de révélations et de bisbilles psychologiques amenées sans subtilité (les deux rencontres avec Bea, pourtant décisives, sont d’une fonction toute démonstrative) et dont on fini par n’avoir que faire. Le destin de Julieta et sa fille, construit sur la mort, les non-dits et l’abandon, manque de nuances, d’incarnation, et sonde les bouleversements d’une mater dolorosa jusqu’à un gouffre d’indifférence.


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mymp
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le 23 mai 2016

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