Il est difficile de critiquer ce film qui semble avoir été vendu pour autre chose qu’il n’est en réalité ; allant globalement vierge de tout synopsis ou de tout trailer dans les salles obscures, je ne m’attendais pas à quelque chose en particulier, et mon ami, me connaissant bien, n’a pas cherché à diriger mon point de vue.
Et après quatre minutes de film, on comprend de suite le schisme qu’il y aura chez le spectateur et on peut anticiper beaucoup de la réaction de la salle. Ne tournons donc pas autour du pot : non, non, encore non et je rajoute un non, “Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare” n’est pas une comédie. Lorene Scafaria signe ici avec son premier film une tragédie dans la plus pure tradition de l’Antiquité.

J’arrête de suite les puristes qui voudront s’insurger, il y a eu quelques changements dans le fond... Mais finalement, si peu ! Rappelons donc ce qui fait intrinsèquement une tragédie.

- Une tragédie réunit des personnages qui affrontent, en sachant très bien la fin inéluctable, des événements plus grands qu’eux, confrontés à un destin injuste et inique. Nous voilà devant des personnages qui vont assister, sans possibilité de sauvetage possible, à la fin du monde et de leur existence. Ce premier point est validé.
- Une tragédie touche son public par une alternance entre terreur et pitié. Je ne pense pas qu’il faille argumenter sur ce point, la fin du monde, les émeutes, le sauvetage d’un chien, l’amour naissant interrompu par la destruction de la vie couvrant bien ces domaines.
- Une tragédie a une portée édifiante, visant à enseigner une vérité morale ou métaphysique au spectateur. Et ici, nous avons bien une réflexion sur la raison de vivre, sur la manière de réagir quand il n’y a plus ni but, ni punition, ni conséquence à ses actes.

Au lieu de prendre des personnages archétypales à portée héroïque, on nous sert l’humanité entière comme personnages, et quelques personnages principaux pour l’archétypage.

Alors, que manque-t-il ? La forme ?

Une tragédie commence par un Prologue qui vient discourir afin d’expliquer la situation initiale. De préférence, l’événement déclencheur a déjà eu lieu, et nous ne verrons que les conséquences de celui-ci sur les personnages. Le rôle est ici dévolu à la radio de la voiture du héros, qui nous raconte que d’une part un astéroïde se dirige vers la Terre et va tout détruire, mais également d’autre part que la dernière mission de sauvetage (qui elle aurait été le sujet d’un drame standard au cinéma) a échoué inexplicablement. Le côté inexplicable est très intéressant, car cela évite de reporter une quelconque faute sur quelqu’un, et d’éjecter ainsi l’envie de vengeance ou d’enquête dans le scénario : Nous sommes bien ici devant l’inéluctable, le vrai.

Une autre pensée m’est venue devant cette introduction : Les civils sont au courant. Prenez les films de fin du monde, les gouvernements y complotent systématiquement afin de cacher la vérité, et ainsi éviter des mouvements de panique. J’ai toujours ressenti une profonde détresse face à ce synopsis, car je me sens outragé de me dire que quelqu’un (qui ne serait pas un Dieu) pourrait en savoir plus sur mon destin que moi-même, et me le cacher sciemment. Cette responsabilisation de l’humanité est rafraîchissante ; elle est la base de la tragédie du film, donc un mal nécessaire, mais ne boudons pas notre plaisir devant un tel détail !

Il nous faut ensuite un coeur qui explique aux spectateurs les actes cachés et les motivations des protagonistes ; ici, le protagoniste étant l’humanité, les grands silences de certaines scènes, prévus pour que le public tende l’oreille vers le journal télévisé diffusé au fond, jouent ce rôle par l’intermédiaire du petit écran omniprésent.

Ensuite, vient les épisodes : le déroulement réel de l’histoire. Nous sommes ici dans une construction très intéressante du récit qui commence comme une comédie, dérive en road movie, pour terminer en ce qu’on pourrait prendre à tort pour une comédie sentimentale.

Enfin, l’Exodos, la sortie du choeur ; la fin des transmissions télévisées, le monologue du journaliste qui sort du cadre du récit des événements, et qui arrive un peu avant l'inéluctable ; C’est un choix payant dans une construction moderne.

Donc, une tragédie. Bien malheureux ceux qui ne l’ont pas vue, et qui ont donc dû souffrir d’un film à deux vitesses qui perdrait son élan comique !

Ce film est mené par deux acteurs qui jouent juste, et qui forment un tandem qu’on aurait pu préjuger bancal, mais qui fonctionne parfaitement ; l’amour naissant entre Steve Carell et Keira Knightley est totalement crédible.

On est ballotté, malmené entre toutes les réponses apportées par les protagonistes que l’on peut trouver à cette question horrible : “Que faire quand on attend la mort et que rien n’a plus de conséquence ?”
- L’abandon de ses relations, car au final, rien ne compte plus ?
- Le libertinage ?
- L’insouciance totale et amorale, allant de l’abreuvement d’enfants à la Vodka à l’essai des drogues les plus dures ?
- La religion ?
- Le suicide, l’obsession du contrôle ?
- La colère, l’émeute ?
- Le recueillement autour de ceux qu’on aime ?

Car non, l’humanité ne retombe pas dans la bestialité et le comportement émeutier dans ce cadre ; bien entendu, tout le monde cherche SA réponse. L’émeute n’a aucun sens, car ce qu’on gagne en volant une télévision, on le perd quand une météorite débarque et comment pourrait-on rejeter la faute de cette déconvenue sidérale sur son gouvernement ? C’est donc un phénomène marginal, plus psychologique, de gens poussés par la peur, la colère, l'entraînement de leaders qui pensent avoir quelque chose à y gagner, ne serait-ce que s'occuper en attendant la mort...

La femme de ménage du héros ne veut pas rentrer chez elle et s’alarme quand celui-ci lui propose de ne pas revenir... “Vous voulez me virer ? [...] Il faudra racheter du produit à vitre pour la semaine prochaine !”... La salle rit, alors que moi je tique. Ils n’ont pas compris la détresse sous-jacente, le besoin de se raccrocher à sa vie d’avant et aux habitudes, de fermer les yeux en s’enfermant dans sa routine pour ne pas voir le terrible, l’horrible vide. La perte de tout ce qu’on a connu, pour soi, mais aussi pour sa famille, ses proches, tout le monde. Ou pourquoi pas, le besoin de compter. "J'ai fais mon devoir, jusqu'au bout. Une employée modèle, et quelque part, ça compte" ; Une sorte de réponse à l'Orchestre du Titanic, une métaphore de l'empreinte de sa vie sur celle des autres. Là où la salle a rit, là où d’autres critiques sur ce site ont salué une première partie comique et décalée, j’ai eu envie de pleurer la nostalgie d’un monde qui se meurt, j’ai vu et senti les rouages implacables des Parques se jouant de 6 milliards de héros, dont certains n’ont pas la force de se lever.
Que de crédibilité dans ces élans solipsistes de cette femme armée d'un balai, ou de ce policier muni de son carnet de contravention ! Que d'espoir irréaliste mais si humain dans ce militaire se préparant un abri anti-missile et discourant de la sélection de femmes fertiles destinées à la future reconstruction de l'humanité !

Là où des gens ont vu ensuite une comédie sentimentale planplan, j’ai vu deux personnes qui ne savent pas si elles se sont trouvées en raison de la force des choses, malgré la force des choses, si leur amour est sincère ou lié au fait que rien n’ai d’importance, qui s’enferment dans une relation d’autant plus belle et plus parfaite qu’ils n’auront jamais à juger de leur compatibilité après 6 mois passés ensemble. Là où les personnes devant moi ont ricané d’un “Et bien sûr il pardonne à son père qu’il n’avait pas vu depuis 25 ans juste avant de mourir”, moi je lis, j’entends, je comprends la vérité profonde, et qui n’est même pas cachée par le réalisateur qui le fait dire à ses personnages : il n’y a pas de pardon, pas de rédemption, pas de colère, pas de vengeance ; rien n’a d’importance, tout est égal, tout le monde est à bord du vaisseau de Charon.

Ce film parle d’amour, de regret, d'humanité, de nostalgie, beaucoup. Il nous entraîne du comique au touchant, de l’imprévisible au suranné, de la joie d’être vivant à la paix d’être mort, le tout rythmé par une bande originale de qualité. Toute situation, tout personnage a un but, un sens : la dissection de l’humanité face à l’Apocalypse, la confrontation du modèle agnostique à la vacuité du sens de la vie. Et la conclusion, magistrale : Il n'est jamais trop tard pour rencontrer quelqu'un, pour aimer, on n'est jamais trop blessé pour cela, la vie vaut d’être vécu, aussi courte soit-elle, pour ce qu’on peut en tirer... Comme la main d’une autre personne à serrer quand nos yeux se ferment pour toujours. “Seeking a friend for the end of the world. Please, pretty please.”
Lomig
9
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le 1 sept. 2012

Modifiée

le 2 sept. 2012

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Lomig

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