Voilà une bullshit qui gagnerait à être plus connue. Pas que ce soit grand, c'est juste apte à séduire en masse, venant titiller le vieux fond chimérique de la ménagère fatiguée comme la vanité du jeune visionnaire encore perché dans son mysticisme de foire. K-Pax tourne autour d'un type débarqué subitement dans une gare, escorté à l'HP par la police en raison de ses laïus folkloriques. Kevin Spacey prétend être Prot, membre de la planète K-Pax, en escale sur cette bonne vieille Terre, située dans les zones un peu minables de l'Univers. Naturellement personne n'y croit au départ mais le doute s'installe vite, compte tenu des connaissances extrêmement avancées du personnage.

Cette initiative pittoresque permet à K Pax de marquer beaucoup de points. Indépendamment de la qualité de ce qui en découle, l'affaire reste intrigante : le scénario n'est pas brillant mais il promet des rebondissements, des chausse-trappes et le spectateur les aura. Le casting est excellent, surtout Jeff Bridges dans la peau du docteur concentré sur le cas de Prot. Malheureusement, en-dehors de cette capacité d'absorption modérée, d'une réalisation et d'une construction propres, K-Pax n'est pas à la hauteur de ses ambitions. D'abord il manque de goût et de caractère. La BO est un truc lisse et mielleux, ce genre de fade loukoum sonore entre Terrence Malick et un blockbuster à Oscars que superviserait un Soderbergh malade. Cette dimension sonore cadre avec l'esthétique générale, celle d'un téléfilm émancipé mais néanmoins sans grâce.

Ensuite Prot n'est pas un prophète sérieux. Il est censé réapprendre la vie à son prochain grâce à son regard extérieur sur l'existence et la nature humaine mais ne fait qu'enfiler les phrases creuses, avec un talent pour l'efficience mais pas pour la pertinence. Sa suffisance est grotesque. La créature est censée mettre les humains face à leurs contradictions, or personne n'a jamais l'idée de la tester, ni dans le film ni côté scénaristes manifestement (sinon pour cette séance d'hypnose qui fait sortir du délire sans pour autant l'annuler). Chausser ses lunettes noires en gardant son self-control peut suffire un moment, mais ça ne donne pas d'esprit et même pas les airs d'en avoir, sauf auprès des zélés de la connerie. Et il faudrait encore veiller à ce qui sort de la bouche, à moins qu'assommer l'interlocuteur (limité et incrédule) de niaiseries bien-pensantes fasse partie de la stratégie ; il est vrai que l'autre, ce piteux humain, est alors capable d'entendre et même d'assimiler rapidement une fois qu'il a accepté le porteur de lumière.

Les auteurs ont voulu en faire une espèce d'Hannibal Lecter pour bisounours révolutionnaires intergalactiques et c'est tout le malheur, y compris sur un plan plus moral ou mental. Sur ce terrain-là c'est même la fête de l'inconsistance et de la fuite mollassonne. Après un démarrage en trombe amalgamant projections d'ado illuminé, gauchisme pacifiste et lunaire, marxisme le plus totalitaire et pédant, Prot le non-humain se dirige tranquillement mais bien net et droit dans le mur. Le monde et les aptitudes de Prot sont anormalement laissées de côté, le film se concentrant trop sur les effets auprès des terriens : car nous sommes en présence d'un spectacle humaniste où l'important est d'apprendre l'humilité et accepter sa place d'humain. Au final Prot nous enseigne qu'il suffit d'être bon et stoïque, profiter de l'existence ici et maintenant, en signalant que nos erreurs nous poursuivrons toujours.

En somme K-Pax ne dit que ça – et que nous avions pourtant Bouddha et le Christ pour allez vers la dignité, mais trop cons nous n'avons pas percutés ! C'est un film mielleux qui nous explique que tout ira bien sur Terre quand l'amour et l'harmonie l'emporteront sur la suffisance, l’agressivité et l'incompréhension. Au monde ultra-rationalisé (et caricatural) de Prot l'évolué, l'importance de la famille et de l'affection viennent répondre ; des réalités absentes sur K-Pax. Ce lieu est pacifié et illuminé, toutefois personne ne manque à personne, les gens sont bienveillants mais n'ont pas besoin d'amour. Prot vit ainsi, quelle dramatique erreur, voilà la stigmate de son trauma et le prix de son impayable lucidité.

C'était franchement pas la peine de nous tenir la grappe si l'enjeu était de démouler un tel discours. Le prophète de K-Pax est donc au niveau de conscience et d'abstraction de n'importe quel blaireau incapable d'user des lambeaux de sa raison, en tout cas dès qu'il s'agit des Hommes ou de l'Humanité. Impressionnant. Pas étonnant somme toute que le film s'effondre (certes en amortissant avec finesse) dès qu'il tente d'exprimer quelque idée remarquable. Faire la démonstration d'une soit-disante intelligence supérieure pour marquer finalement le triomphe des émotions est d'une indicible connerie. Autant dire que le programme dérive rapidement, d'ailleurs sitôt consommée la découverte le film verse dans le sentimentalisme de ravi de la crèche ensoleillé. Du Tarkovski bienheureux et corrigé pour la masse.

https://zogarok.wordpress.com/2015/03/17/k-pax-lhomme-qui-vient-de-loin/

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le 16 févr. 2015

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Zogarok

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