Kids Return narre l'histoire de deux, voire trois adolescents en marge du système scolaire qui essaient de s'en sortir, chacun à sa manière : dans un club de boxe, chez les yakuzas et comme chauffeur de taxi.
Le contexte est particulier : d'un côté, c'est le premier film que Takeshi Kitano réalisa suite au grave accident de moto qui faillit lui coûter la vie ; d'un autre côté, il occupe une place assez ingrate dans sa filmographie : trois ans après Sonatine, le film qui a consacré sa notoriété occidentale, et un an seulement avant l'éblouissant Hana-Bi (« feux d'artifice » en japonais, un titre parfait). Et pourtant, cette histoire de Shinji et Masaru, des gamins qui n'ont même pas 20 ans et dont les destins semblent intimement liés, est touchante et élégante. Kitano, à défaut de jouer dans son film (ce qui, en soi, est assez exceptionnel de sa part), joue avec la caméra, avec le scénario (1) et avec nous-mêmes, tout en se jouant des codes du genre, comme à son habitude.

Le film démarre et se termine sur la même note : deux gamins partageant un même vélo, dans la cour de leur école qu'ils ont abandonnée depuis belle lurette. Ils cherchent sans succès à rompre avec le prosaïsme qui semble régir leur existence, mais sont bien incapables de remplir leurs journées qui leur filent entre les doigts. Assez paradoxalement, chacun des protagonistes cherche à vivre au quotidien l'expression la plus concrète de sa vision de la liberté, mais s'enferme peu à peu dans une prison dont il a lui-même bâti les murs à la sueur de son front. Au lieu de s'épanouir et de s'ouvrir à l'infini des possibles de l'adolescence, ils s'acheminent lentement vers le désespoir le plus total.

« Quand on est petit, on rêve grand » dit l'un des ados. Et si grandir, c'était savoir rester petit ? C'est une réponse proposée par Kitano, qui nous propulse — de manière plus ou moins autobiographique (2) — au cœur du malaise propre à l'adolescence qui parfois dure toute une vie : cette sensation de flotter sans savoir si, demain, on va couler ou atteindre la rive. Non sans rappeler, dans une certaine mesure, L'Attrape-Cœurs, le classique de Jerome David Salinger.

--
(1) La palme du scénario torturé revient quand même à Takeshis' (2005).

(2) Lire l'excellent bouquin de Michel Temman, « Kitano par Kitano », Grasset (2010), biographie qui s'appuie sur des conversations et des entretiens plus ou moins formels entre les deux hommes.

La suite ici : http://www.je-mattarde.com/?post/Kids-Return%2C-de-Takeshi-Kitano-%281996%29
Morrinson
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top films 1996 et Réalisateurs de choix - Takeshi Kitano

Créée

le 21 déc. 2013

Critique lue 929 fois

27 j'aime

4 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 929 fois

27
4

D'autres avis sur Kids Return

Kids Return
ThoRCX
9

Ceci n'est pas la fin, mais le commencement.

Kids Return est un vrai film sur les "Hamidashimono". Ce terme signifie littéralement "celui qui sort/déborde du lot", et vise les marginaux de la société, particulièrement vus comme des gênes dans...

le 4 juil. 2013

57 j'aime

4

Kids Return
Velvetman
8

L'école de la vie

Du haut d’un vélo dans la cour de leur bahut, ça vivote, ça frappe du premier de la classe pour se payer des cigarettes ou mater des films pour adultes. Vivre de l’air du temps en somme, sécher pour...

le 3 déc. 2015

45 j'aime

Kids Return
Sergent_Pepper
7

Cancres las.

Entre les cimes Sonatine (1993) et Hana-Bi (1997), Kid’s Return est, en 1996 une œuvre plus mineure de Kitano ; elle n’en reprend pas moins tous les thèmes de son œuvre, en les abordant plus ou moins...

le 22 août 2017

39 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11