D’emblée, des les premières scènes, Friedkin place ses personnages mais surtout le spectateur dans une position inconfortable. Les personnages, une famille recomposée, père bourru et largué par les évènements, fils dealer et vivier à problèmes, belle-mère crasseuse qui apparait dès le premier plan touffe à l’air sous le nez du spectateur et fillette vierge et ingénue. Ils regardent un film noir hollywoodien qui passe à la télé. On ne verra pas ce film-là chez Friedkin. Nous on regarde tout le film un chien enragé, bave aux babines, enchainé mais prêt à bondir à la première occasion. Friedkin ne laissera jamais la chaîne se rompre, il conserve la sauvagerie attachée, au premier plan, mais aussi en hors champ, les aboiements du chien étant continuels. Il nous laisse face à la terreur tout en signalant que celle-ci ne peut se séparer de son piquet. Le chien est attaché à la maison comme les personnages sont ancrés dans leur Texas, leur environnement pourri et leur petite vie sans intérêt.
Dans le film se déroule le petit théâtre du film noir, on connait le décor, on connait les acteurs, on connait les accessoires : fric, meurtre, sexe, femme fatale, tueur, ripou. On est en terrain connu.
Pourtant on reste dans cette position inconfortable. Friedkin ne définit pas totalement les bords du cadre. Le cinéaste nous plonge dans un exercice cynique et ultra malsain, dans lequel on hésite entre rire ou s’horrifier, le sérieux devient farce, l’outrance règne en maitre.
Au fond ce n’est pas grand-chose, une série B, mais une série B dans laquelle Friedkin déverse une vraie sauvagerie, dans un très petit périmètre, une mise en bouteille des ingrédients de ses précédents films qu’il agite avec plaisir. Pas très éloigné de Bug en fait (Killer Joe est l’adaptation d’une autre pièce de Tracy Letts). En terme de mise en scène (composition des plans, gestion temporelle, …) je trouve ça assez brillant.
Au milieu Matthew McConaughey, le fameux Killer Joe engagé par la famille pour assassiner la mère des deux gosses, synthétise les enjeux du film et offre une composition géniale, mêlant effroi et grotesque.