No country for young girls
Le grand retour dans les salles obscures de William Friedkin, que l'on avait pas vu depuis Bug il y a déjà cinq ans, est en soi un évènement. Adulé par les fans d'horreur pour son Exorciste, et par les amateurs de polars musclés depuis French Connection, le réalisateur jouit d'une aura demeurée intacte plus de trente ans après ces chefs d'oeuvres. Il retrouve en l’occurrence le dramaturge Tracy Letts, auteur de la pièce de théâtre dont s'inspire le film, et qui était déjà derrière Bug.
Baignant dans une ambiance de western moderne, un peu dans l'esprit du No Country for old men des frères Coen, Killer Joe nous projette au fin fond du sud des Etats-Unis, au coeur d'une famille de rednecks dans la plus pure tradition de l'oncle Sam. Magnifiquement retransmise à l'écran, l'ambiance chaude et sale colle à la peau du spectateur, et on croirait presque sentir l'odeur de la sauce BBQ et de la sueur rance (vivement le cinéma en 4D...). Ressortant les pires clichés de bouseux américains, Friedkin semble s'amuser à dresser un portrait au vitriol de cette Amérique profonde au sein de laquelle la loi semble n'être qu'un concept éculé.
Jonglant avec maîtrise entre le malsain et l'innocence, entre pureté et dépravation, le réalisateur plonge le spectateur dans un maelström de sentiments contradictoires, s'amusant à le mettre mal à l'aise face à ces personnages dont la corruption n'a d'égale que la bêtise crasse. Au milieu de cet océan de stupre, flottant telle une île d'innocence, le personnage de Dottie, éternellement coincée entre deux âges, apporte au film toute sa fraîcheur et, paradoxalement, souligne encore plus l'immoralité de ceux qui l'entoure. Juno Temple, que l'on avait croisée aux côtés de Anne Hattaway dans Rises, déploie tout son talent pour apporter à son personnage une candeur désarmante.
Si le dernier quart du film est peut être de trop, achevant d'immerger le spectateur dans le malaise le plus total au cours d'une scène traînant un peu en longueur, Killer Joe se révèle comme un film sauvage et jouissif, un ovni cinématographique confirmant tout le talent de son réalisateur.