Faussement présenté comme un « buddy movie » classique (vous savez, ce genre de films où l'on met côte à côte deux héros complètement différents ; en général, le cerveau et le boulet), « Kiss kiss, Bang bang » déploie une intrigue tellement alambiquée et à tiroirs tellement multiples, que les personnages peinent à y trouver leur place.

Au fil du film, Harry, par exemple, tout d'abord voleur à la petite semaine devient acteur, par le plus grand des hasards, avant de se prétendre détective privé pour draguer Harmony.
Parlons d'Harmony, justement. Il la prend tout d'abord (comme nous d'ailleurs) pour une actrice inabordable, avant de découvrir qu'elle est son amour de jeunesse propulsé là suite à un homicide involontaire. Bien vite, on annonce à Harry qu'elle s'est suicidée, alors qu'elle débarque bien vivante chez lui, en lui expliquant que sa sœur lui a piqué son identité et que c'est elle qui s'est tuée...
Vous n'avez pas tout suivi ? Ce n'est pas grave... Ces personnages sont complètement instables, et leur fonction narrative, en permanente évolution, est sans cesse remise en question...

Si on ajoute à cela, les multiples ramifications de l'enquête, on se sent complètement perdu. Et chaque fois qu'on croit démêler les fils de l'intrigue, un nouveau rebondissement vient détruire nos certitudes.
Cette impression (parfois désagréable il est vrai) de se sentir perdu dans un flot d'indices, de personnages et d'évènements sans liens apparents, trouve son point culminant lorsque la voix-off de Harry nous interpelle : « Et toi ? T'en dis quoi, spectateur ? Tu as résolu l'affaire des morts de L.A. ? »... Or, à ce stade du scénario, seul un spectateur extralucide (ou un psychopathe chronique à l'imagination débordante) est capable de découvrir le pourquoi du comment de l'affaire.
Cette voix-off vient en fait comme un pied de nez ironique nous rappeler que l'intérêt du film ne réside pas dans l'intrigue mais dans l'atmosphère.

« Kiss kiss, Bang bang » est en effet un hommage aux « pulp fictions » des années 60. Ces romans policiers qu'on appelait chez nous « romans de gare ».
Bien sûr, l'univers du film se veut résolument contemporain, mais l'imagerie « pulp » suinte de partout, de par cette intrigue alambiquée, ce monde qui ressemble au nôtre mais ne répond pas aux mêmes codes, mais surtout de par ce personnage de détective privé, véritable colonne vertébrale du scénario.

Pour rendre cet univers crédible, Shane Black, son chef opérateur et son chef décorateur, avouent s'être inspiré des visuels de Robert McGuinness, créateur des couvertures de nombreux « pulp fictions ».
Ce ressenti est accentué par le travail d'orfèvre mené sur les dialogues où jeux de mots et phrases chocs sont légions, par les réactions irréelles et parfois incohérentes des personnages, et par la loufoquerie des scènes d'actions... Tout ceci concourant à créer un véritable décalage, typique des romans de gare.

Au beau milieu de cet univers, Gay Perry, l'image du parfait détective privé.
Il semble à l'aise en toute circonstance (aussi bien pour se débarrasser d'un cadavre que pour s'extirper d'une séance de torture...) et s'en sort toujours avec classe et humour.
Il a d'ailleurs une fâcheuse tendance à avoir sans cesse un train d'avance dans la résolution de l'enquête, souvent de manière incohérente (lorsqu'il engage la filature de la fille à la perruque rose qu'on ne connaît ni d'Eve ni d'Adam; lorsque la seule allusion à une petite culotte lui fait résoudre toute l'affaire...).
Contrairement à Harry et Harmony, deux personnages difficiles à cerner (comme nous l'avons vu plus haut), il est lui, un stéréotype ambulant et répond à tous les codes du genre.

Ajoutons à cela un découpage du film en chapitre, une voix-off omniprésente, des flashes back catapultés, et nous voilà face à un « pulp filmé », tout simplement fascinant, mais dont nous ne pouvons rester que simple spectateur.
Impossible en effet de s'identifier à Harry qui nous ramène en permanence à notre rôle primaire d'auditeur à qui l'on raconte une histoire...
Impossible non plus de s'identifier à Gay Perry tant il n'est qu'un stéréotype sans réelle consistance.

« Kiss kiss, Bang bang » est donc un étrange « buddy movie » qui en déroutera plus d'un par ses partis pris.
Il est d'ailleurs étrange de voir défiler le nom de Joel Silver au générique de ce film qui brise allègrement les règles d'identification du spectateur, de cohérence du scénario et de grandiloquence des scènes d'action.
Des codes qui sont d'habitude le fondement même des productions Joel Silver.
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le 22 mai 2012

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