Il y a des moments rares comme celui-ci où il vaut mieux parler de ce qu'un film nous a transmit en terme de sensation et d'atmosphère, et de réévaluer son appréciation en mieux.
Vu il y a 3 mois, mes souvenirs commencent à se brouiller sur la trame du film, qui somme toute me semble bien anecdotique à la vue de l'impression et des images qu'il me reste, telle des effluves d'un parfum qui ne parviendrai jamais à s'estomper.
Qui l'eut cru ! Christian-Jaque m'a vraiment transporté dans un "autre monde" hors du temps, celui des vrais contes de Noël !
Il y a peu d'exemples en France, c'est plutôt une habitude hollywoodienne (encore aujourd'hui).
"L'assassinat du Père Noël", adaptation du roman éponyme de Pierre Véry, que le cinéaste a déjà adapté avec "Les Disparus de Saint-Agil", me confirme que Christian-Jaque est un excellent adaptateur mais avant tout un grand conteur d'histoires. Bien sûr, ce film en particulier, mais aussi toute la filmographie du cinéaste est loin d'être parfait(e). Il y a des défauts sur lesquelles on passe facilement car l'important est ailleurs. On a souvent dit d'Henri Verneuil qu'il avait beaucoup emprunter au cinéma américain dans sa façon de filmer et de raconter une histoire, mais je pense que Christian-Jaque l'a précédé dans les années 30 et 40.
Loin de tout académisme figé (type Jean Delannoy), le cinéaste surprend encore ici par sa liberté et son inventivité formelle, sa déconcertante facilité à recréer une atmosphère en faisant toujours preuve d'une exigence rare en terme d'écriture, "comme chez les américains". En somme le cinéma de Christian-Jaque ne prend pas le spectateur lambda pour un benêt. Sinon je n'écrirais pas cette critique, 74 ans après la sortie du film! Du cinéma populaire exigeant et divertissant.
Qui dit conte de Noël, dit "Enfance". Là aussi, le cinéaste s'appuie sur ce qui compose une de ses forces, et non pas la moindre, il filme et raconte l'enfance et l'adolescence comme personne (plus tard François Truffaut saura l'égaler). Tout le monde se souvient de "Les Disparus...", c'est oublier ce film et "L'enfer des anges", tourné l'année d'avant. Il y a le talent du cinéaste, qui recréé par son sens visuel, une atmosphère fantasmagorique inoubliable. Il filme neige, montagne, village et chalets enneigés comme personne. Le travail sur la lumière et la photo d'Armand Thirard (le futur chef op de Clouzot) est remarquable. Puis surtout il filme également toutes ses "trognes" - les habitants du village - et ses "héros" - comme personne. Eux aussi, vous restent en mémoire. Il croque en quelques traits des portraits haut en couleur qui rajoute à l'impression d'ensemble:
- la Mère Michel, qui erre dans le village à la recherche de son chat, figure "spectrale" flirtant avec le merveilleux (la sorcière des contes) incarné par une Marie-Hélène Dasté hallucinée,
- l'instituteur anar amoureux transi de l'héroïne, incarné par un Robert Le Vigan, bien plus sobre et juste qu'à l'accoutumé, qui parvient à nous toucher et à nous émouvoir
- Ricomet, le pharmacien, pas si catholique, Jean Brochard, qui n'est jamais aussi bon que dans les rôles ambigües.
- Le Père Cornusse, pivot du film avec sa fille, le fameux "Père Noël", sous les traits d'Harry Baur, nous touche toujours de la profonde humanité qu'il insuffle à chaque rôles.
Seul gros défaut, comme souvent chez Christian-Jaque, une erreur de casting, ici sur le couple Renée Faure (la fille Cornusse)-Raymond Rouleau (le Baron) qui ne fonctionnent pas du tout. On ne parvient pas à croire à leurs personnages. Renée Faure débute ici et se révèle bien fade, quant à Raymond Rouleau, à part son joli minois, n'émeut pas et semble "s'emmerder", comme à son habitude très moyen.
Passez là dessus, c'est tout le reste qui nous revient en mémoire. Si une Morgan, une Presle, un Gabin ou un Gravey avait incarnés le couple d'amoureux, le film eût alors été considéré comme un chef d’œuvre ?

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