Il en aura fallu du temps pour voir aboutir ce projet à l'histoire originale.
Tout commence en 1922, année où Francis Scott Fitzgerald, auteur notamment de Gatsby le magnifique, publie la nouvelle qui est à la base de notre film.
Hollywood fuit la nouvelle devant la complexité technologique qu'elle demande jusque dans les années 80 où un producteur, Ray Stark, achète les droits.
Stark y croit dur comme fer. Il engage un scénariste, Robin Swicord, qui livre un scénario de 240 pages et tient absolument à Steven Spielberg en tant que réalisateur.
David Fincher est déja consulté à l'époque en tant que superviseur des effets spéciaux (rappelons que c'est dans ce domaine et sous la houlette de Spielberg et de George Lucas que Fincher perce une première fois en travaillant notamment sur les effets spéciaux du Retour de Jedi ou d'Indiana Jones et le temple maudit).
Le projet reste en supens un certain temps et Stark demande finalement à Spielberg s'il compte enfin s'intéresser à ce projet ou s'il préfère travailler sur "ce film de bestioles préhistoriques".
Jurassic Park sort en 1993 et le scénario de Benjamin Button erre toujours à Hollywood.
Il est plus tard remanié par Eric Roth, scénariste oscarisé pour Forrest Gump, et est racheté par le couple marié de producteurs Kathleen Kennedy et Frank Marshall, amis et associés de Spielberg sur la plupart de ses films, une fois que Stark décède en 2004.
La valse des réalisateurs commence par Spielberg, à nouveau, qui voyait bien Tom Cruise rajeunir, avant que Ron Howard s'y intéresse également et imagine plutôt John Travolta dans le rôle titre.
Se succède un certain nombre d'autres réalisateurs dont Spike Jonze avant que David Fincher revienne finalement sur le projet, alpagué par Kennedy & Marshall.
Brad Pitt est choisi au bout d'un temps pour incarner Benjamin Button ce qui permets notamment dé prévoir un budget plus gros pour les besoins du film (150 millions de dollars quand même !).
Kennedy & Marshall d'une part et Fincher & Pitt de l'autre vont permettre à ce projet d'être enfin achevé cette année au bout de 150 jours de tournages.
Le film provoque rapidement le buzz devant les prouesses techniques et la beauté de la photographie entr'aperçue lors de la diffusion des photos officielles ou des bandes annonces.
C'est donc un des films les plus attendus de cette année dont nous allons parler maintenant.

"Life isn't measured in minutes, but in moments"

L'Etrange histoire de Benjamin Button est un conte moderne.
Il est d'ailleurs présenté à la manière d'un conte : la fille de Daisy (Cate Blanchett) lit le journal intime de Benjamin Button (un livre à l'aspect plus proche du grimoire que du journal) et le récit prend forme cinématographiquement à partir de là, nous faisant ainsi vivre l'histoire de Benjamin Button.
Ce qui frappe immédiatement c'est que le récit merveilleux est dès le début prisonnier de deux traumatismes bien réels ancrant ainsi la part sacrée du film dans une actualité profane dramatique.
L'ouragan Katrina qui frappa la Nouvelle Orléans en 2005 est le premier des ces deux traumatismes.
Il apparait dès les premieres images du film à la fenêtre de la chambre d'hôpital de Cate Blanchett (on se trouve placé dans le récit en 2005 au moment de la catastrophe) tambourinant doucement la vitre sous forme de pluie avant de s'intensifier progressivement tout au long du film.
Il ne se contente pas d'entourer le récit, il l'imprègne.
Ainsi la pluie, la tempête, le mauvais temps reviennent de manière cyclique à des moments clés du film comme une menace qui reste sous jacente aux différents événements.
Le deuxième déchirure historique est représentée par les deux guerres mondiales, celle de 1914 autant que celle de 1939, qui apparaissent de manière récurrente symbolisée par une horloge qui marche à l'envers et plus généralement par la présence répétitive du cadran de la montre ou bien physiquement lorsque Benjamin Button se retrouve marin sur un bateau de pêche réquisitionné pour la guerre en 1939.

"Write me a postcard, write me a postcard from everywhere..."

C'est bien sur ces thèmes que repose la part philosophique du récit et que le film prend toute son ampleur.
La montre, la guerre, les catastrophes naturelles : tout ceci vient rappeler de manière quasi pascalienne à l'homme, aussi merveilleux et étrange soit- il, l'issue inéluctable de son voyage au cour du temps : la mort.
C'est donc en partie dans cette optique que s'articule le récit et que l'on réfléchit sur le temps qui passe par le biais d'une double trajectoire qui va se croiser : celle du rajeunissement et celle, plus habituelle, du vieillissement.
On se concentre principalement pour la première sur Brad Pitt et sur Cate Blanchett (également Tilda Swinton mais dans une moindre mesure) pour la deuxième.
Le croisement se fait grâce à l'histoire d'amour inhérente au récit qui réunit les deux protagonistes.
Le scénario film prend le parti de montrer une relation morcelée en montrant les moments ou les deux trajectoires s'entrelacent puis se séparent plutôt que de créer une évolution commune homogène.
Ce qui a pour résultat (positif) d'établir une belle histoire d'amour impossible faisant du film un mélodrame flamboyant hollywoodien assez classique en plus d'un conte, mais qui est crédible et qui fonctionne ; concevoir l'amour d'un type qui à l'air d'avoir 90 ans et d'une petite fille qui en a 7 puis d'une mamie et d'un enfant, ca n'est pas forcément un pari facile. Celui ci est brillament relevé que ce soit par la virtuosité discrète de la mise en scène de David Fincher, l'alchimie du couple Pitt/Blanchett déja affirmée dans Babel, la photographie magnifique de Claudio Miranda, la musique d'Alexandre Desplat et bien sûr les effets spéciaux et le maquillage absolument sidérants qui accompagnent le film bout en bout.
A tel point qu'on finit d'ailleurs presque par attendre la prochaine prouesse technique devant le rajeunissement et le vieillissement progressifs de Brad Pitt ou Cate Blanchett que de se concentrer véritablement sur le récit lui même.

"We are defined by opportunities, even the ones we miss"

C'est peut être la véritable faiblesse de L'Etrange histoire de Benjamin Button : le film captive mais le récit pas forcément, ou en tout cas pas tout le temps.
Il pêche notamment par ses longueurs, ce qui, me direz vous, est adapté à un récit contemplatif sur le temps qui passe dans un sens ou dans un autre mais qui est un peu regrettable dans la mesure où le film émeut simplement là ou il aurait pu être totalement bouleversant et dans celle où on s'attache plus aux acteurs qu'aux personnages.
Le choix de Brad Pitt se révèle d'ailleurs être à double tranchant.
La beauté captivante de l'acteur guide le regard du spectateur et l'amène finalement à se concentrer sur l'évolution de Brad Pitt plus que sur celle de Benjamin Button.
Pourquoi ceci ?
Sans doute parce que l'acteur s'est fait remarqué dès le début de sa carrière pour son exceptionnel physique et que le film, malgré toutes ses considérations philosophiques et poétiques, est centré justement sur l'évolution physique de ses personnages.
Autrement dit on est plus bouleversé de retrouver un Brad Pitt aussi jeune que dans Thelma & Louise, chose qui ne se reproduira pas, que par l'inexorable conclusion de la relation entre Benjamin et Daisy.
Son jeu, par ailleurs minimaliste (le personnage écrit ne brille pas par ses expressions, son caractère et son esprit d'initiative), n'en reste pas moins sans faille à l'image de celui de Cate Blanchett.

Ces regrets n'en sont pas pour autant des facilités scénaristiques et ce qu'on retiendra du film, c'est bien son émouvante poésie et sa parfaite esthétique.



En bref : Un beau film, une belle histoire, de beaux effets spéciaux, quelques belles longueurs et Brad Pitt plus beau que nature !

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le 26 mai 2012

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Bapman

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