Dans la lignée des fresques pittoresques classiques aux niveaux narratifs nombreux (semblables en beaucoup de points à Don Quichotte), Life of PI est un oeuvre qui, par son étendue mythologique vaste, est universelle. Basée du livre de Yann Martel, l'histoire raconte le parcours initiatique et symbolique d'un jeune Indien allant de son Inde natale aux confins de terres inconnues, malgré lui.

Les niveaux narratifs commencent avec un récit à trois niveaux (le Flash-back, le présent avec le journaliste et la frontière fiction/réel qui fond durant la dernière partie du film) permettant de mettre en avant des enjeux forts sans jamais aller trop loin, le flash-back par exemple traite de façon extrêmement habile de la religion, la dernière partie traite de façon plutôt critique la politque et le présent est une sorte d'intersection entre fiction et réalité, renforcé par la présence d'un écrivain. Ce principe de narration d'une histoire à plusieurs niveaux comme cela me rappelle The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, reprenant de façon plutôt semblable ce concept. En quelques mots, je pense qu'Ang Lee fait le bon choix d'insister sur une voix off parfois trop présente mais justement faisant écho à l'esprits des partis pris du film afin de mettre en évidence un des thèmes principaux du film que j’appellerai l'importance de raconter des histoires, tenu, dans le film, sous beaucoup d'angles différents : Raconter des histoires à des fins politiques ou religieuses, ou encore à des fins psychologiques (qui donne de la profondeur aux personnages).

Pour ce qui est des personnages à travers sa vie, Pi grandi à l'écran mais aussi en nous. L'enfant sympathique et curieux se transforme en homme confronté au monde réel inconnu pour lui, quand il "sort de son zoo" comme il le dit lui-même. Par le voyage initiatique, beaucoup de choses sont révélés et surtout l'identification se fait de plus en plus forte. L'aspect National Geographic marche complètement, ainsi que la bataille de Pi face à Richard Parker, ce qui renforce une compassion déjà existante pour le protagoniste de l'histoire. Cependant je trouve que ce n'est pas le personnage le plus fascinant. Richard Parker est une source inépuisable de questionnement, d'interprétations et de pensées. Lui qui apparaît comme l'antagoniste du film, possède le même but que Pi ce qui en fait un antagoniste beaucoup plus passionnant à suivre, et par cela explique sa transformation en compagnon de Pi (Cf : John Truby - Anatomy of a Story).

Le premier point fort du film provient du livre. C'est sa mythologie très vaste et remarquablement utilisé, permettant un nombre incalculable d'interprétations, véritable essence de la religion, autre thème phare du film. C'est ce que je trouve génial, que l'on puisse voir son parcours initiatique comme une bataille face à lui-même et à l'éducation qu'ils a reçu de ses parents où de ce fait Richard Parker serait une projection spirituelle de ses pulsions les plus sauvages et de ce qu'il n'aime pas en lui, ou bien comme un récit sur la religion (arche de Noé, Terre Promise, Jardin d'Eden et tentation, Christ, Vishnou, Allah, 40 jours d'exil) où l'Ile Mystérieuse serait le point centrale de cette métaphore narrative ou encore comme une autre métaphore où les animaux représenteraient des êtres humains et où Pi ne serait qu'un narrateur extérieur qui se serait projeté hors de son propre corps. Chaque interprétation a des défauts et des qualités, mais c'est, au fond, le propos du film, comme l'explique Pi à la fin quand il s'adresse au journaliste, car il s'adresse surtout au spectateur : "Et vous, quelle histoire préférez-vous ?".

Le second grand point fort du film, est l'aspect visuel. J'ai rarement vu des films utilisant l'image de synthèse être aussi beau. L'esthétique en est vertigineuse, surréaliste et par cela fascinante, comme l'est l'histoire qu'il va vivre. Le symbole de l'eau est présent avec brio, et la synthèse permet ce plus de métaphore visuelle qu'une caméra filmant le réel n'aurait pu apporter. Il se peut qu'Ang Lee apporte une nouvelle génération de dimension visuelle au cinéma contemporain. Il est clair que Life of Pi est une claque visuelle n'allant jamais trop loin, s'arrêtant toujours au bon endroit.

Life of Pi est donc un film très important de la filmographie d'Ang Lee. Néanmoins, il passe à deux doigts d'être un chef d'oeuvre. En effet, le film manque de ce petit quelque chose qui nous fait tomber à la renverse, sans jeu de mots. La partie où l'on retrouve Pi dans son arche est parfaite, rien est à redire, je ne vois vraiment aucuns défauts. Les défauts viendrait alors de l'exposition et de la conclusion du film, peut être trop faibles pour ce que le film soulève durant le cœur de son récit. Le personnage de Pi n'étant, de plus, attachant qu'au centre du film, durant la période de flash-back. L'imperfection finale est définitivement que le film soulève un nouveau sujet passionnant et le laisse en suspens, à ma plus grande frustration.
Victor_Galmard
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le 4 févr. 2015

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Victor Galmard

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