La force de Philippe Garrel malgré sa complexité, sa démarche parfois poussive dans l'excès de cérébralité, est de ne pas divertir, de simplement donner à voir, dans sa forme la plus simple: la vie. Et "La Jalousie", dont le titre apparaît à l'écran en grosses lettres implacables, n'échappe pas à la règle. Plus qu'un film sur la jalousie, c'est la fuite qu'étudie P.Garrel. Quand on quitte le foyer pour entrer dans le désert du désamour. Il n'y a guère plus que Charlotte, l'enfant de Louis et Clotilde, pour attendre Louis assise auprès de la porte et demander en vain à sa mère qui a cessé d'aimer l'autre, espiègle. Nous, on le sait, car les larmes de Clotilde, semblant venir de nulle part, ouvrent le film, simples et pures. La séparation s'entend à travers la porte de la chambre de l'enfant, se voit par le trou de la serrure, un peu criante, terrible mais douce. Plus tard, Charlotte dira à ses parents qui se parlent et se disputent doucement "arrêtez de crier, j'ai mal à la tête", la mère rétorque simplement "mais on ne crie pas, là". Catalyseur de l'espièglerie, de la jalousie et surtout des questions qui fâchent, cette petite fille donne une nouvelle tournure au cinéma de Garrel. Plus frais, moins torturé. Il permet d'oublier la mort, malgré la scène de suicide attendue et ridicule qu'il nous sert depuis quelques films avec son propre fils en ligne de mire. Mais la mort n'est plus l'issue.

Philippe Garrel étire ses scènes, réduit au maximum ses transitions, on passe ainsi d'un espace à l'autre sans s'en rendre compte, sans qu'il y ait besoin d'y avoir de lien temporel ou significatif entre ceux-ci. D'ailleurs, si le temps passe, beaucoup de personnages gardent les mêmes vêtements, seul un petit changement vient faire comprendre qu'on n'est plus hier, pas vraiment aujourd'hui et déjà presque demain. A l'image de Claudia, bluffante Anne Mouglalis, qui court un jour de peur que Louis soit parti, et part à son tour du foyer qui l'étouffe tant. Cette fois, le personnage s'enfonce mais il n'est plus seul car filiation et transition sont beaucoup moins douloureux. Si Garrel, réalisateur, reste dans la distance, la théâtralité, cette mise en scène froide, qui parfois bloque l'émotion, il parvient également enfin à faire éclater sa famille, à faire briller la possibilité d'être ensemble. Même si les polaroids en mouvement qu'il nous présente sont parfois encore emprunts de souvenirs familiaux douloureux, le cinéaste a enfin inclue l'avenir comme perspective de son film. Ainsi, lors d'un dîner où Charlotte affirme que Louis aime son père, qui les a quitté, plus que tout au monde, Louis rétorque que c'est du passé, et que ça ne l'empêche pas de l'aimer, elle. Car les constantes invariables restent l'enfant et la sœur, la seule qui déclarera son amour "je t'aime mon petit frère".

Louis s'était évertué à l'obtenir de celle avec qui l'amour était comme un jeu "tu m'aimes? - c'est toi qui pars " un matin de départ au travail. Il y avait la peur et la légèreté dans cet amour où les infidélités, parfois totales, parfois discrètes, étaient aussi étanches que les étreintes qui ne se font jamais, laissant les corps en tension, la pudeur en éveil. L'éternel transi s'enferme "je t'aime, c'est définitif". Alors que Claudia s'émancipe, essaye, recommence. Paradoxalement, alors qu'elle passe un temps fou à attendre, elle dira qu'attendre, c'est la mort. Mais, dès lors, derrière la beauté des esquisses que dessine Philippe Garrel à l'aide de son pinceau-caméra en noir et blanc, il y a la pensée du cinéaste qui écrase tout. Et alors qu'il semblait faire un film quotidien, tout est distancé par le regard, alors que tout est complexe, la simplicité des sentiments transparaît. C'est magnifiquement filmé, par une caméra d'une pureté infinie, sans artifice (à part la musique un peu appuyée), mais en même temps c'est très théâtral. Très codifié. Et au milieu de trouées sublimes, de scènes superbes, celles qui plombent le cinéma de P.Garrel; où il faut forcément, sans raison, se mettre à parler de Maiakovski et Sénèque (transmission?) ... Mais finalement, il reste aussi une impression de légèreté, avec ses scènes de déambulations dans les rues, d'insouciances parfois, quand les deux sont ensemble et ne jouent pas, s'aiment vraiment, qu'importe ce qui viendra après, tant qu'on est vivant !
eloch

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