Le docteur Petersen (éblouissante Ingrid Bergman) est psy dans une clinique tenue par le docteur Murchison qui est sur le point d’être remplacé par le docteur Edwardes qu’il ne connaît que de réputation (son livre « Dans le labyrinthe du complexe de culpabilité » figure en bonne place dans la bibliothèque de la clinique). Quand Edwardes (Gregory Peck) se présente, on sent le coup de foudre entre lui et Petersen.

Rapidement Petersen accepte une promenade campagnarde avec Edwardes. Elle prétend que la poésie a fait de grands torts à de nombreuses personnes par l’intermédiaire du romantisme. Elle critique Shakespeare tout en attendant le moment où Edwardes l’embrassera. Ce premier baiser est montré d’une manière qui combine le romantisme et la psychanalyse. Très fort.

Rapidement, Petersen s’aperçoit que l’écriture de celui qui l’attire tant n’est pas celle de celui qui a dédicacé l’exemplaire de la bibliothèque de la clinique. Gros doute. Qui est réellement cet homme ? Pourquoi l’aime-t-elle ? Eh bien, comble du romantisme, elle l’aime tel qu’il est et non pour son statut de psychiatre reconnu et estimé. Elle parvient néanmoins à déterminer qu’il ne peut qu’être médecin.

Seul indice, il semblerait que ses initiales soient JB, non pas Justerini and Brooks, mais John Ballantine. Celui-ci est tout simplement amnésique. Mais il évoque un gros complexe de culpabilité. Il est persuadé d’avoir tué le véritable Edwardes. Commence alors une enquête menée par JB sur lui-même, aidé par Petersen qui va le conduire chez son ancien professeur, le perspicace docteur Brulov…

La façon dont la psychanalyse est présentée est simpliste, mais il faut reconnaître que le cinéma abordait là un thème encore très méconnu. Parmi les facilités du scénario, des psys se retrouvent d’une minute à l’autre en salle d’opération. Edwardes tente de convaincre un patient qu’il n’a pas tué son père, alors que lui-même éprouve un gros complexe. Résoudre un complexe de culpabilité sur la base de l’interprétation d’un simple rêve peut faire sourire. Quant à faire recouvrir la mémoire à un amnésique en l’assaillant de questions insidieuses et en le remettant devant des situations qu’il fuit ne me paraît pas spécialement crédible. Ne parlons pas de la psy (même si Brulov a beau jeu d’affirmer qu’une femme amoureuse n’est plus fiable) ; elle fuit en compagnie d’un homme qui pourrait être un assassin. La musique est omniprésente pour marquer les effets, était-ce indispensable ? Enfin, ce qui apparait vraiment comme du bricolage aujourd‘hui, c’est la séquence de ski avec superposition criante d’images. On imagine trop le technicien avec son matériel de soufflerie en direction des chevelures de Gregory Peck et Ingrid Bergman. Mais la séquence se termine par une scène capitale qui ne peut qu’imprégner les esprits, alors…

Alors, on est en présence d’un film d’Hitchcock, quelqu’un qui conserve une réputation intacte, de génération en génération de cinéphiles. Mon avis est que, malgré tous ses défauts, ce film fonctionne toujours. Le couple vedette y est pour quelque chose. Ils sont tous les deux très beaux et très bien mis en valeur : magnifique noir et blanc, magnifique photographie. Même avec lunettes, Ingrid Bregman est irrésistible. Quant à Gregory Peck, son charisme ne l’empêche pas d’exprimer un côté inquiétant quand on le voit de nuit, un rasoir à la main.

Et puis, Hitchcock fait monter la tension jusqu’à une révélation qu’on pense finale, avec l’interprétation du rêve. Un rêve dont les décors surréalistes de Dali méritent à eux seuls de voir le film. Une séquence énigmatique et décousue à souhait. L’ultime rebondissement donne une impression bizarre, puisque la tension retombe, mais il permet à Hitchcock de montrer sa maîtrise technique et sa science du suspense et de la psychologie. Ceux qui ne connaissent pas le livre d’entretiens Hitchcock-Truffaut se jetteront dessus pour apprendre le secret des trucages pour le revolver et pour le verre de lait.

Une fois de plus Hitchcock utilise des temps apparemment morts pour donner de la vie à son film. Ainsi, le gêneur qui vient s’asseoir à côté d’Ingrid Bergman qui fait le guet dans un hall d’hôtel. Non seulement la scène meuble, mais elle donne un excellent prétexte pour faire avancer l’intrigue. Hitchcock ne se prive pas pour ironiser sur les pratiques des couples qui s’embrassent dans une gare et il en profite pour donner une incroyable sensation d’espace dans l’immense Grand Central Station, la gare New Yorkaise.

C’est donc le type même du film qui a un peu vieilli mais qui fait dire qu’on revient régulièrement vers Hitchcock comme on retrouve un vieil ami.
Electron
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le 24 févr. 2013

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Electron

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