Dans les années 1930, lors d’un court séjour en prison, le pasteur Harry Powell a comme compagnon de cellule Ben Harper, un homme désespéré qui, pour sauver sa famille, a commis un hold-up et assassiné deux hommes. Powell cherche à faire dire à Harper où se trouvent les 10 000 dollars dérobés, mais celui-ci ne cède pas. Le prêcheur fanatique se rend chez la veuve de Harper, qui a été pendu. Willa Harper ne tarde pas à épouser l’homme d’Église, ne voulant pas voir que ce dernier ne désire qu’une chose : faire avouer à ses enfants, John et Pearl, l’emplacement du magot.

Une œuvre exceptionnelle

Laughton est un surtout reconnu comme acteur, plusieurs fois nominé aux Oscars pour le prix du meilleur acteur, il remporte la célèbre statuette en 1934 pour son rôle dans la vie privée d’Henry VIII. En 1955, il réalise La nuit du chasseur, son premier (et dernier) long métrage. Ce film a été boudé pendant très longtemps par la critique, ce qui va dissuader le génial Laughton de réaliser d’autres long-métrages. Aujourd’hui, ce film est considéré par la majorité des cinéphiles comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma et certains le classent même parmi les sept merveilles du septième art. Vous l’aurez compris, ce film est à voir au moins une fois dans sa vie.

Concernant le film en lui-même, il est très compliqué à classer. Il peut être à la fois considéré comme un conte de fées, un western, ou bien encore comme un thriller. C’est tout simplement un ovni cinématographique.

Un portait de l’Amérique durant la Dépression de 1930

Ce film dépeint de façon très réaliste l’Amérique des années 30, une Amérique rurale et terriblement manichéenne. On peut y voir une Amérique rongée par la pauvreté et où les pères sont obligés de voler pour nourrir leurs enfants.

L’autre façade que dénonce Laughton est le manichéisme religieux de cette Amérique profondément rurale. Tous les personnages du film, à l’exception de Rachel Cooper, sont des fanatiques ou des niais face à la religion. Certains, comme le révérend Harry Powell, sont des fanatiques manichéens qui se servent de la religion pour assouvir leurs désirs et manipuler les foules. D’autres, comme Willa Harper et Walt Spoon, sont des niais qui se laissent berner par les manipulateurs.

Bien évidemment, Charles Laughton ne dénonce pas la religion mais les dérives qui en résultent. La preuve en est donnée par le seul adulte responsable du film, Rachel Cooper. Ce personnage, profondément croyant dans le bon sens du terme, est le plus important pour le réalisateur car il va extirper les enfants des mains du révérend pervers et leur permettre de retrouver une partie de leur innocence.

Des mécanismes ingénieux pour contourner la censure et dénoncer la perversité des adultes :

Le thème principal de ce film est l’enfance ainsi que toute l’innocence qui l’entoure.

Vous le comprendrez très vite en regardant le film, les enfants sont pourchassés par un révérend qui souhaite retrouver une grosse somme d’argent que les enfants ont cachée dans l’un de leur jouet. Mais en vérité, ce qui est caché dans cette poupée est l’innocence des deux enfants. Par conséquent ils doivent cacher la poupée à tout prix et le téléspectateur comprend que si le révérend la trouve cela reviendrait à la réalisation d’un viol sexuel contre les deux enfants. Ce genre de paraboles était très courant durant l’âge d’or du cinéma hollywoodien afin d’éviter la censure.

Cette idée de viol ne fait aucun doute car un Phallus est utilisé tout au long du film : le couteau du révérend. On comprend que l’objet tranchant est en vérité une allusion au sexe de l’homme de dieu. Par exemple, dès la quatrième minute du film, le révérend se trouve dans un cabaret, lieu de désir absolu dans les années 30, et pendant qu’il contemple une femme le couteau transperce l’une de ses poches de costume au niveau de l’entrejambe.

Des acteurs convaincants

Le révérend Harry Powell est interprété par l’excellent Robert Mitchum. Toutes les scènes dans lesquelles il apparaît sont devenues mémorables à l’exemple de celle où il joue, avec ces deux mains, le combat perpétuel entre le bien et le mal. Les mots « Love » et « Hate » sur ses doigts sont très probablement les tatouages les plus reconnus du cinéma.

A noter aussi le jeu parfois bouffon de Robert Mitchum, notamment au moment où il poursuit les deux enfants dans la nuit. Ce n’est évidemment pas un mauvais jeu de la part de l’acteur mais un moyen utilisé par le réalisateur pour dénoncer la bêtise des adultes.

Rachel Cooper, interprété par Lillian Gish, l’une des reines du cinéma muet, est parfaite dans son rôle de mère de substitution. En effet, lorsque les enfants vont fuir le révérend, ils vont être recueillis par une femme très pieuse qui va les laver, au sens propre comme au sens figuré, des souillures de leur père adoptif (le révérend).

Les deux enfants, John et Pearl Harper, sont interprétés par Billy Chapin et Sally Jane Bruce. Ils sont eux aussi très convaincants. Billy Chapin restera à jamais comme l’exemple du grand frère au cinéma.

Ce film est d’une beauté visuelle rarement égalée au cinéma. Cela vient très probablement des magnifiques jeux de lumière utilisés tout au long du film. Le directeur de la photographie n’était autre que Stanley Cortez. Ce dernier déclara que seul deux réalisateurs avec qui il travailla comprenaient l’importance de la lumière : Orson Welles (Citizen Kane) et Charles Laughton.

Ce film nous gratifie de plusieurs scènes que beaucoup considèrent aujourd’hui parmi les plus belles du cinéma. La plus remarquable est sans doute la scène de la rivière. Les deux enfants s’enfuient la nuit à l’intérieur d’une barque, ils traversent une rivière pour enfin trouver refuge chez leur mère adoptive et pendant toute la traversée des images magnifiques se succèdent. Cette sensation d’Eden est renforcée par la chanson Pretty Fly entonnée par la petite Pearl.

A noter que visuellement ce film a influencé les plus grands réalisateurs d’aujourd’hui : Matin Scorsese (Les Nerfs à vif), les frère Cohen (The Barber, l’homme qui n’était pas là), Spike Lee (Do the right thing) et Terrence Malik dont la scène de la rivière pourrait être la genèse de toute son œuvre.
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le 1 nov. 2014

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