Charles Laughton n'a réalisé qu'un seul film dans sa vie. S'il connut un échec cuisant lors de sa sortie (faisant renoncer à Laughton la réalisation d'un autre film), le temps a rattrapé les erreurs du passé et La nuit du chasseur est désormais considéré comme un des films immanquables du cinéma, toute époque confondue. Un indispensable pour tous les amoureux du septième art. Un classique tout simplement. Mais quelles en sont les raisons ?


Premièrement, on obtient une oeuvre à la forme très poétique. Ainsi, les plans en noir et blanc sont réellement sublimes. Il y a une réelle maîtrise chez Laughton et on le remarque directement. Pour être honnête, il s'agit probablement de l'un des meilleurs noirs et blancs réalisé au septième art. Ensuite, on obtient grâce à tout cela des plans tout bonnement magnifique. Notamment celui de Mitchum chevauchant tranquillement à cheval à la recherche des enfants. Un plan qui rappelle fortement le western d'ailleurs. Car Laughton parvient aussi à nous donner un film qui multiplie les genres. On peut y voir des touches de western, de film de suspense, de police, le conte et évidemment aux films de D.W. Griffith, à qui on sent que cette oeuvre est dédiée, notamment avec l'emploi de Lilian Gish, célèbre actrice muette ayant tourné avec Griffith donc. Bref, sur la forme, on peut vraiment regretter que Laughton ait connu un énorme échec avec cette oeuvre car on peut se demander ce qu'il aurait pu faire d'autre. Il est vrai aussi que Laughton a connu une bonne carrière d'acteur et qu'il a sûrement appris au contact des autres réalisateurs. Toutefois, on ne refera pas le passé et on doute tout de même qu'il ait pu faire mieux que La nuit du chasseur. Rares sont les réalisateurs à être devenus des grands avec un seul film. Laughton en fait partie et c'est tout à son honneur.


Evidemment, si la forme peut amener un film à être réussi ou raté, le fond est également très important. Chose incroyable, Laughton le maîtrise également à merveille. On peut évidemment constater que la religion est le point central de l'histoire et devient un élément-clé de celle-ci. Dès le début, le ciel, les étoiles, Lilian Gish entouré d'enfants (un ange et des chérubins, quand je vous disais aussi qu'il y avait un côté poétique dans cette oeuvre), ensuite on rentre dans l'histoire avec une vision d'hélicoptère, un meurtre plus bas. Tout se fait en contre-plongée, Dieu observe de loin mais n'interviendra jamais. On ne peut évidemment nier le fait que l'on ressent comme une certaine ambiguité chez le personnage de Harry Powell (Robert Mitchum). Or, chez Laughton, c'est pareil. Il était un fervent croyant mais était homosexuel, chose que l'église n'accepte pas. Et on ne peut s'empêcher de voir une critique des valeurs de l'église avec le fait que Powell soit le "méchant".


D'ailleurs, bien au-delà de l'église, on peut voir un simple résumé de l'être humain qui se résume à un combat éternel entre le bien et le mal, entre faire de bonnes actions ou de mauvaises, etc. Mais toute l'ambiguité vient également qu'au début, lorsqu'Harper vole l'argent et tue des gens (mauvaise action), il le fait dans le but d'aider sa famille qui vit mal la crise économique (le film semble se situer dans cette période de crise, fin des années 20 ou début des années 30). Bref, faire le mal pour tenter de faire le bien. Evidemment, il n'y a pas que cela qui est en jeu. Le chiffre deux possède son importance puisque le combat se déroulera entre le pasteur et les enfants (le monde adulte et l'enfance).


Il y a également dans cette histoire, une espèce de conte. Un grand méchant loup terrorisant des enfants à travers les pays et qui seront aidés par une vieille grand-mère. Pour peu, ça ressemblerait au Chaperon Rouge. Bref, Laughton réussit ce tour de main incroyable de mêler les genres avec brio. D'une scène de tension extraordinaire où Powell poursuit les enfants dans la maison à une scène nettement plus relaxante des enfants se laissant voguer sur la rivière dans la splendeur de la nuit (encore une fois remarquablement rendue grâce au noir et blanc). Il est également important me semble-t-il de souligner l'importance de la musique tant celle-ci est réussie.


Enfin, un mot sur les acteurs. Ils sont tous remarquables mais deux me semblent évidemment sortir du lot. Tout d'abord et honneur aux dames, Lilian Gish qui trouve ici un rôle remarquable dans le cinéma parlant et qui prouve qu'elle demeure une actrice complète. Et puis, il y a Mitchum... Tout bonnement fantastique, sa performance est surréaliste. Il n'est également impossible d'oublier sa folie tout comme ses tatouages "love" et "hate" tatoués sur chaque main.


Mitchum dira que de tous les films qu'il a tournés, La nuit du chasseur demeure son favori. On ne peut que comprendre l'acteur américain car Laughton signe une oeuvre formidable, qui résiste incroyablement bien au temps et qui demeure très complexe. Un seul film peut-être mais quel film...

batman1985
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le 6 mai 2011

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