Chroniques du Panda, à la quête des calins perdus, volume 5

Etrange expérience que La Nuit du Chasseur.
Ce film en noir et blanc m'aura laissé une drôle d'impression, et ce n'est qu'après plusieurs jours que je m'attèle à sa critique.
Ce qui frappe immédiatement, c'est son esthétique.
Figure imposée élevée au rang d'atout, l'absence de couleur va être l'occasion d'un jeu d'ombre et lumière, où les silhouettes des objets et des corps se découpent et titillent notre imagination.
Jouant sans cesse avec cette ambivalence, que l'on retrouve chez les différents protagonistes et leur séparation assez nette en deux "clans", mais aussi de façon individuelle parfois, avec la part sombre que chacun porte en soi.

Si l'on s'arrête à l'histoire brute qui nous est contée, la simplicité et l'on pourrait dire la naïveté de l'oeuvre prêteraient à sourire.
Mais il serait réducteur de s'en tenir là, tant il devient rapidement évident que le relatif dépouillement dans le scénario et l'aspect finalement assez maladroit dans la gestion de la psychologie des personnages ne visent qu'à laisser place à une réflexion plus profonde.
Cette dernière est à l'appréciation du spectateur mais, comme rarement, on ne ressent pas cette impression de film "Ikea" ainsi que j'aime à les appeler, tels les Lynch et autres Nolan.
On n'oscille pas entre la sensation que le réalisateur a eu la flemme de développer ses idées et la satisfaction de pouvoir faire fonctionner son imagination.
Non, le film offre à la fois une vision suffisamment manichéenne et pourtant des clés pour remplir l'espace reliant ces deux extrêmes.
Mais aussi et surtout, cette échelle de valeurs peut s'appliquer à tellement de domaines que je n'ai pas la prétention de les avoir tous envisagés.

En ce sens, ne nous y trompons pas, La Nuit du Chasseur rejoint le sujet le plus évident abordé tout au long du film : la religion, et nous offre une parabole tout à fait admirable.
N'étant pourtant pas un fan inconditionnel de religion, je ne puis que saluer l'habileté avec laquelle le Laughton parvient à ce résultat.

Film noir s'il en est, son personnage central est un modèle de corruption, de cruauté et de machiavélisme.
Campé par un Robert Mitchum impeccable, le pasteur Powell distille son poison et on ne tardera pas à ressentir une colère mêlée de crainte à son encontre, tout comme John.
C'est d'ailleurs suffisamment rare pour être mentionné, les deux enfants tiennent très bien leur rôle.

Il y a paradoxalement peu à dire sur le film lui-même, tant il y a davantage à prendre dans ce qui n'est pas dit, que dans ce qui est clairement montré.
Chacun y trouvera pratiquement ce qu'il cherche, fonction de ses sensibilités, croyances, intérêts et pourquoi pas de son état d'esprit actuel.
Puisqu'il est sur ce site clairement question de subjectivité, je vais partager mon analyse personnelle.
La Nuit du Chasseur symbolise pour moi l'affrontement entre deux visions diamétralement opposées de la spiritualité et de la foi.
L'une, pure, totale, tour à tour incarnée par la veuve Harper et, bien plus loin dans le film par Mme Cooper, mais aussi et surtout bien sûr par les enfants eux-mêmes.
L'autre, dépravée, détournée, principalement personnifiée par Powell c'est évident, mais aussi de manière plus insidieuse on la retrouve par exemple dans les personnes qui, sous couvert d'être de bons chrétiens, ont fait de Mme Harper ce qu'elle est, à savoir une femme à la merci du prédateur, inconsciente et naïve.
Ou bien encore ceux qui tiendront absolument à rester aveugles à la duplicité du révérend, en dépit de l'accumulation de signes troublants. Douce aliénation par le fanatisme.
Et entre deux, les gens "normaux", répartis sur toute la gamme entre le "bien" et le "mal".
Le père qui confie à ses enfants un fardeau bien trop lourd pour eux en voulant simplement leur préparer un avenir meilleur.
Les gens qui traitent ces petits miséreux comme n'importe quel autre orphelin, ne prenant pas le temps de s'attarder sur eux en tant que personnes bien que leur offrant de quoi manger.
L'une des protégées de Miss Cooper qui se laisser aller à la facilité en monnayant ses charmes aux jeunes gens peu scrupuleux de la "ville" pour entretenir ses rêves.
Vous.
Moi.

Il y aurait encore beaucoup à ajouter mais de toute façon cela ne resterait que ma vision.
La meilleure chose à faire est encore d'arrêter ici, et vous laisser ainsi foncer trouver et regarder ce film parfaitement atypique et séduisant, avant de vous forger votre propre opinion sur son "vrai" message.
En vous souhaitant une bonne nuit.

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le 31 juil. 2011

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SeigneurAo

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