La triste planète des hommes
Première adaptation relativement fidèle du roman de Pierre Boulle, Franklin J. Schaffner lance, sans le savoir, une franchise qui traversa les décennies puisque pas moins de 7 films furent réalisés sur cette histoire dont le dernier est sorti en 2011, au passage très mauvais.
La première chose à constater est l'originalité de la réalisation de Schaffner. Dans la première partie, il se laisse aller à toutes les excentricités : caméra à l'épaule, caméra tournoyant sur elle-même à 360°, plan sur le soleil qui se reflète dans l'écran... Profitant de paysages désertiques splendides et d'une musique de Jerry Goldsmith (il faut bien le dire, sans mélodie, il livre ici plus une musique d'ambiance, angoissante), Schaffner réussit une première partie sans fausse note, installant une atmosphère stressante.
A partir du moment où Charlton Heston, incroyable de conviction, rencontre les singes, Schaffner déploie en filigrane une véritable critique à l'encontre de la société de son temps et de notre temps. Une hiérarchie sociale figée (les orangs-outans représentent le pouvoir et la justice, les chimpanzés représentent la science, les gorilles représentent l'ordre), une justice partiale rendue par un comité restreint, une foi déraisonnée dans la religion et les textes ancestraux, détenteurs de la vérité, sont autant de thèmes abordés dans ce film.
Esthétiquement parlant, le film est très beau de par ses décors somptueux et travaillés (inspirés par l'architecte espagnol Gaudi) et ses maquillages criants de vérité pour les singes. Plus de 40 ans plus tard, on reste stupéfait par le réalisme des expressions simiesques et du travail fourni. Seuls les costumes, notamment les peaux de bêtes pour les hommes, peuvent avoir un caractère quelque peu désuet.
Cette inversion du rapport de force entre homme et singe permet à Schaffner de critiquer la bêtise humaine comme le souhaitait Pierre Boulle sans tomber dans un discours moralisateur puisque l'homme n'est pas visé en tant que tel mais bel et bien, à un premier degré, la société des singes dans le film. La dernière scène, culte, voit Charlton Heston maudire l'être humain pour avoir causé sa perte sur Terre. Par cette statue de la Liberté ensablée, vestige d'une gloire déchue, Schaffner met un point d'orgue à sa critique : le nucléaire mettra fin à l'espèce humaine. A méditer, en ces temps de paranoïa qui n'en serait peut être pas une.