Quelques années après Voyage au bout de l'enfer, un des films US les plus fameux sur la guerre du Viet-Nam, Michael Cimino se lance dans un projet pharaonique qui sera un désastre financier retentissant. La Porte du Paradis est l'un des plus gros échecs commerciaux de l'Histoire du cinéma. À sa sortie, il est ridiculisé par la critique et boudé par le public. Au fil des années le film sera ré-évalué, jusqu'à devenir pour beaucoup une merveille ultime, un Citizen Kane incompris, etc. Cette réhabilitation arrive cependant après que Cimino ait perdu la main : il met cinq ans avant de revenir avec L'année du dragon, puis poursuit une carrière peu remarquée, alors qu'elle avait démarrée en trombe avec Le Canardeur.

Avec la réhabilitation du film vient celle de son premier montage présenté en salles, ressorti et remastérisé en 2012 : La Porte du Paradis s'étale en effet sur 3h39 dans sa véritable version, alors qu'il a été ramené à 2h29 pour les salles une semaine après le lancement de son exploitation. Peu importe les versions, le caractère du film, ses vices et ses vertus sont les mêmes. Le prologue d'une quarantaine de minute est assez passionnant et ses longueurs justifiées, raisonnées, toujours remplies. Mais dès que Kris Kristofferson retrouve Isabelle Huppert, Heaven's Gathe se caractérise par des poses interminables, superfétatoires au dernier degré. Les personnages sont mauvais, on étouffe à être otages de leur ratage et voir les acteurs (y compris Christopher Walken) habiter des coquilles sans âme.

Réalisé au crépuscule des années 1970 et du Nouvel Hollywood, La Porte du Paradis est dirigé par un Cimino en total free-style, manifestement sans contrôle extérieur mais aussi dépassé par sa propre entreprise. Il s'étale sans renforcer ses fondations : l'écriture en l’occurrence. Il fait aussi sa démonstration de maniériste d'une précision sidérante et d'un volontarisme admirable ; la remastérisation de 2012 sert largement cet aspect et le combat de la troisième heure est dantesque. La mise en scène est marquée, surtout dans le prologue, par quelques travellings homériques où Cimino enchaînent les séquences en démiurge.

Le propos anti-américain est solidement ancré mais n'a pas grand relief, il n'est pas alimenté par une prose minutieuse ou agressive. Cimino est peut-être au clair dans son for intérieur mais il en reste à la déclaration d'intention et ne lui taille pas d'illustration suffisamment orientée, sans que le spectacle soit pour autant naturaliste comme l'exigerait ses prétentions, ou simplement analytique. Il est réaliste mais superficiel, comme n'importe quelle grosse production de son genre. Finalement, c'est sa gourmandise et sa photographie qui le distinguent, rien d'autre : rapporté à la vitalité ou juste l'ampleur des films de Leone (Il était une fois en Amérique – dans l'Ouest), La Porte du Paradis est une bluette de gamins, du Coppola creux.

Est-ce qu'un virtuose doit s'autoriser au laisser-allez, ne refréner aucun appétit et le dompter mollement, sous prétexte qu'il engendre de la belle image à la pelle et avec quelques astuces impressionnantes ? Si la réponse n'est pas un Oui catégorique, alors ce film n'a déjà plus de grand intérêt, voir plus de légitimité. Evidemment Cimino gère la forme avec un soin immense, mais il coule : il donne l'impression d'avancer dans un brouillard total, ne donne pas d'impulsion claire, inhibe sa fibre d'artiste politisé et consciencieux comme celle d'entertainer. L'incommensurable budget de Heaven's Gathe a été dilapidé avec précision et systématisme, mais c'est en produit agencé en mode automatique, dont le résultat est d'un hiératisme assez déroutant.

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le 19 janv. 2015

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