On pourrait penser, naïfs que nous sommes, qu'avec un tel sujet le film n'aurait pas besoin d'en faire des caisses dans le dramatico-tragique. Le parti pris étant de mettre en lumière un fait historique longtemps ignoré, on aurait pu imaginer que le propos se suffirait à lui même.

Eh bien non.

Il s'agit plutôt de nous rappeler, à grands renforts de lamentations violonesques et autres airs déchirants, que le meurtre de masse, c'est pas bien. Alors on nous met en scène des personnages en carton pâte sans nuances aucune : le père courageux qui se bat pour sa famille, les gamins débrouillards et espiègles, le médecin généreux qui oppose un regard compatissant et humain à la misère du pauvre monde, etc, etc. Mention spéciale au plus petit du groupe d'enfants, Noé, dont chaque réplique est assortie d'un regard candide et d'un zézaiement charmant censés émouvoir aux larmes l'assistance devant tant d'innocence sacrifiée (en réalité on a plutôt envie de lui distribuer des baffes) (mais bon). On se retrouve avec des caricatures ambulantes qui pourraient aussi bien se trimballer avec une pancarte "On est sympas et on souffre, compatissez" accrochée autour du cou.

On a le sentiment que les victimes de la Rafle doivent être représentés comme des parangons de vertus pour que le spectateur se soucie tant soit peu de leur sort. Quid du parti pris de les faire apparaître sous les traits de simples êtres humains, avec leur lot de mesquinerie et de bonté, de lâcheté et de courage, comme n'importe lequel d'entre nous. Mais non, narrer une tragédie historique sans enfant pour sortir des phrases mignonnes aux bons moments, c'est moins vendeur.

D'ailleurs, tous les personnages du film suivent plus ou moins le même schéma, on peut déterminer sans peine qui sont les ordures et qui sont les héros, oubliant totalement le fait que l'être humain moyen peut être les deux à la fois. À la trappe les nuances, au diable la subtilité, on est pas venus pour réfléchir mais pour pleurer devant le spectacle d'un enfant arraché aux bras de sa mère.

Au milieu de tout ça, le personnage de Mélanie Laurent s'avère le plus superflu de tous, car il déplace le propos des souffrances endurées par les déportés aux réactions horrifiées de la gentille infirmière devant les souffrances endurées par les déportés, qui finissent par passer au second plan tandis que le spectateur est invité à admirer la dévotion et la bonté de cette jeune fille au grand coeur. J'imagine que la raison d'être du personnage était d'offrir un regard extérieur sur les atrocités commises, une sorte de porte d'entrée pour celui de l'audience. Mais c'est inutile, le spectateur n'étant pas un boeuf complet (dans la plupart des cas), il n'a pas besoin qu'on lui brandisse un panneau sous le nez pour lui indiquer quoi penser et lui rappeler que, oh là là, ce qui est montré à l'écran est vraiment horrible.

Pour le plaisir, on mentionnera quelques scènes ubuesques et hautement pas crédibles, comme le fait que les prisonniers arrivent au camp de transit en chantant gaiement, comme s'ils ne venaient pas de passer des heures entassés dans des wagons à bestiaux. Quelques scènes plus tard, tout le monde s'invite gentiment à danser au son chevrotant d'un poste de radio. La déportation, c'est des rires, des chansons romantico-guillerettes, et des enfants qui connaissent leur premier flirt. Tant de douceur.

L'émotion est là, néanmoins, mais davantage en dépit des couches de pathos dont s'alourdit le propos que grâce à elles. La scène où enfants et parents sont séparés (j'avoue avoir eu des frissons quand la mère fait jurer à son fils de s'échapper) est poignante, celle où le médecin gaulliste annonce à Annette ce qu'il advient réellement des Juifs déportés l'est également. Mais elles le sont indépendamment du propos général du film, qui est finalement desservi par cette volonté naïve d'angéliser les victimes de la Rafle pour nous faire compatir à leur sort. Comme s'il fallait exhiber une moralité irréprochable pour pouvoir se défendre du statut de victime.
Apollonix
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le 10 juil. 2014

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Apollonix

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