Ô toi, fan du T-Rex de King Kong, toi qui a trouvé grandiose son apparition, scène apothéose du film de Merian Cooper, toi qui l'a passée et repassée sans cesse, totalement émerveillé devant ce duel entre primate géant et lézard magnifique, toi qui a aimé ce monstre si beau, adoré ce géant revenu du passé trop vite reparti et qui aurait tant aimé le retrouver encore et encore, sur l’île du Crâne ou ailleurs, vient par ici, il est là !

Devant La Vallée de Gwangi, j'me demande à chaque fois comment j'aurais réagit devant ce film si j'étais tombé dessus une nuit sur une chaîne perdue, sans plus d'informations que son titre et ses premières images. Devant ce pseudo western pâlot colorisé de façon criarde, cette romance mièvre assez horripilante, et cette ambiance générale d'attraction pour gosses flashy avec cowboys et indiens façon téléfilm un peu pourri et délavé. Peut être que j'aurais zappé. Peut être même que je me serais endormi comme une merde après 10 minutes de film. Et peut être que j'aurais tenu jusqu'à la 49ème minute pour me prendre une monumentale claque dans la gueule signée Ray Harryhausen.

La scène d'intro est pourtant des plus mystérieuse : Un homme tenant un étrange sac, agité et couinant et le laissant entre les mains avides de son frère en murmurant le mot bizarre de "Gwangi" avant de crever sous les yeux aveugles d'une voyante prédisant le pire si le dit sac n'est pas immédiatement ramené dans la vallée interdite. Et justement, le dit sac n'est pas ramené dans la vallée interdite.
A ce moment là du film, on a de quoi être plongé dedans, ça sent le mystère, le fabuleux, le fantastique, y a un truc quoi. Une "vallée interdite", ça allèche presque autant que la prédiction de grands malheurs à propos d'un sac contenant un machin inconnu gesticulant et braillant dans les aigus. Bon, là on est à 5 minutes de film.
Après, on passe dans un mode beaucoup plus classique. Et chiant. Une arène de cirque, des cow-boys et faux indiens qui jouent à se tirer dessus pour amuser 3 ou 4 badauds, une reine du plongeon pour le clou du spectacle et un agent cupide qui a pourtant une bonne gueule de héros du film. Et c'est d'ailleurs le héros du film. Il oublie l'argent d'un coup et se laisse submerger par l'amour avec sa sirène à cheval, et tout à l'air d'aller pour le mieux pour ce futur couple, alors que tout a l'air d'empirer pour l'avenir du film qui ne promet que de l'ennui et encore de l'ennui...

Et puis y a le truc ! Le petit détail magique à la Harryhausen. T.J. (c'est la femme, le mec s'appelle Tuck) annonce à Tuck (tiens justement) qu'elle dispose d'un nouvel élément unique en son genre pour relancer le cirque (en péril, 3 ou 4 badauds, c'est peu pour bouffer). La curiosité de Tuck s'enflamme et c'est contagieux, parce que soudain, on se souvient de la scène d'intro et du sac gesticulant. T.J. montre à Tuck l'objet de son émoi, et on a le droit à une première séquence de stop motion du père Ray qui nous anime là un cheval nain préhistorique tout à fait charmant. C'est ça le truc à la Ray Harryhausen. Au début, t'as un petit truc mignon, il anime des jouets et leur donne vie avec une magie sans pareil, exactement comme dans "A des millions de kilomètres de la Terre", et exactement comme dans "A des millions de kilomètres de la Terre", le petit truc tout mignon annonce un très très gros truc beaucoup moins mignon et ça vire au gros bordel. Là, c'est bon, plus moyen de s'endormir, on voit ce petit équidé avancer d'un pas hésitant et la magie prend, le film scotche littéralement.

Et ce n'est qu'un faible (et plaisant) début. Sur une idée d'un paléontologue (on se fout un peu de l'intrigue, des soupçons entre amants et autres personnages et tout le bordel, je passe tout ça), le cheval nain est relâché pour mener une bande de quelques hommes cupides dans cette mystérieuse vallée interdite. On a alors une horde de cavaliers fougueux qui courent comme des dératés sur la trace du cheval nain, descendent pied à terre et s'aventurent sous les roches vers une terre inconnue. Et là Paf ! Nouvelle apparition soudaine d'un rejeton d'Harryhausen, un gallimimus rosâtre et hululant (du moins le conclus-je, d'un point de vu morphologique, ça a tout d'un petit gallimimus ou struthiomimus). Devant la créature plus qu'improbable dans ce décor du grand Ouest sauvage, un des types s'exclame, précédant de 17 ans les révolutions paléontologiques de Bob Baker dans son livre "The Dinosaur Heresies" (dont tout le monde se contre fout ici en fait) : "On dirait une autruche déplumée !". Et cette autruche déplumée, elle pourrait rapporter gros. La course reprend de plus belle mais oublie quelque peu le petit poney pour lui préférer le poulet-lézard glabre et c'est à nouveau un réel plaisir que de voir cet animal aussi crédible que poétique courir comme un dératé sur ces roches desséchées.

On est à 49 minutes de film, et c'est là que l'attaque survient. Elle ne vient pas de face, mais par les côtés, des deux autres raptors que tu n'avais même pas encore vu. Parce que le vélociraptor n'est pas un chasseur solitaire, il utilise un schéma d'attaque coordo... euh merde.. pardon rien à voir.. ça c'est autre chose.. hum bref, je reprends...

On est à 49 minutes de film, et c'est là que la grosse claque survient. Une espèce de T-Rex déboule de derrière un rocher et chope le pseudo gallimimus dans ses mâchoires (la scène similaire dans Jurassic Park est clairement un clin d'oeil à celle ci) et entreprend de le déguster en fin gourmet.
Alors 49 minutes, ça peut paraître long comme attente, surtout quand le reste est assez dénué d'ambiance générale et menée de manière on ne peut plus classique. Mais honnêtement, 49 minutes pour ça, c'est quedalle !
Ce film est une leçon magistrale de l'art du Stop Motion par Ray Harryhausen. Ce génie (c'est clairement un génie) est au sommet de son art. Le gamin qui à 13 ans regardait le boulot de Willis O'Brien sur King Kong n'a jamais lâché sa vocation alors découverte. Il s'est acharné avec la plus belle des passions pour faire vivre ses bêtes, et ça se voit.
Gwangi est un théropode splendide, sorte d'hybride entre un allosaurus fragilis et un tyrannosaurus rex, et c'est un animal crédible, "vivant" et même attachant.

STOP ! Interlude paléontologique chiante ! Comme certains le savent déjà, le "T-Rex" de King Kong n'est pas vraiment un T-Rex du point de vu morphologique. Regardez le bien (si vous revoyez ce film, mais de toutes façons, une fois de plus n'est jamais une fois de trop), et vous pourrez voir entre deux enjambées sur le gros gorille que ce T-Rex a 3 doigts sur les pattes antérieures, ce qui suggère qu'il s'agit en fait d'un allosaurus ou assimilé. Par contre, la forme de son crâne et la morphologie général de son buste laisse penser à un tyrannosauridé. En fait, c'est ni l'un, ni l'autre. Ray Harryhausen l'admet lui même, pour lui, il n'y avait pas vraiment de différence à faire entre ces animaux. C'était juste de gros lézards ultra féroces et dangereux, et ces différences de classification pour lui minimes n'avaient pas la moindre importance. Mais difficile de se contenter de ça ! Quels sont les statuts du T-Rex de King Kong et de Gwangi putain ? Et bien O'Brien comme Harryhausen se sont inspirés d'une peinture de tyrannosaure pour créer leur animal de pâte à modeler. Ils l'ont customisé à leur façon en leur rajoutant un doigt à chaque patte antérieure, certainement par soucis esthétique. D'un point de vue technique, le rendu de Gwangi comme celui de l'agresseur de Kong (taille, pattes) fait d'eux des allosaurus, mais ce sont fondamentalement des T-Rex.
Voilà, j'espère que ce petit encart un brin inutile était bien saoulant comme il faut.

Ceci étant dit, c'est à partir de là qu'on a droit à une débauche d'effets visuels d'un charme exceptionnel. Un ptéranodon déboule et attrape un gosse dans ses serres puis essaie de le bouloter avant d'être descendu par un autre type dans un combat extrêmement nerveux et vraiment crédible. Le calme revient et Gwangi réapparaît, becte un peu du ptérodactyle au passage puis entame une poursuite déchaînée derrière les pauvres homo sapiens sapiens en quête de son potentiel dîner puis stoppe, faisant face à un styracosaurus. Les deux monstres s'éloignent l'un de l'autre, placides, ils s'observent... Puis Gwangi revient de nouveau à la charge sur le cératopsien, cette fois moins pacifique. On a droit à un combat mémorable, sous les yeux teintés d'effroi des pseudos cow-boys, une joute bestiale, brutale, et sanglante qui va foutre Gwangi en rogne et transformer le T-Rex en rouleau compresseur enragé. Les humains prennent la fuite et sortent de cette "vallée interdite" par le petit orifice rocheux. Gwangi explose de colère, rugit, beugle, tente de les poursuivre, défonce tout et se retrouve assommé sous la rocaille.

QUELLE PROVIDENCE ! Ramenons le pour se faire du fric ! (à l'évidence, ces gens n'ont jamais vu King Kong...)

Gwangi : Un évènement unique, prochainement en tournée mondiale ! Présenté ici dans le cirque pour la première fois, on est devant une scène qui nous laisse une impression de déjà vu d'un primate géant à Broadway.
Mais Gwangi n'aime pas les cages, et quand le rideau se lève, il a déjà un infortuné dans la gueule. La foule commence à hurler de terreur alors que le gros lézard défonce jovialement sa cage et encore une fois, s'en donnant à coeur joie, Harryhausen transforme ce film en petite perle. "L'allosaurus rex" est en interaction parfaite avec les personnages, avec les animaux présent sur la scène et avec le décor dans lequel il est intégré de façon presque évidente et qu'il démolit à loisir. Après un combat titanesque contre un éléphant (qui rappelle fortement la scène de "A des millions de kilomètres de la Terre" pour le citer une 3ème fois), Gwangi trop vénère bousille des baraques et bouffe des gens. Ça hurle dans tout les sens, c'est la panique totale et surtout c'est l'extase complète devant cette petite merveille de technique qui, du haut de sa montagne de charme désuet inégalable, pourrait bien faire poindre un petit sourire ironique à l'égard des images de synthèse à outrance de Mr Peter Jackson. Rarement le stop-motion n'avait été si bien mené et c'est avec une douce lourdeur nostalgique qu'on revoit ces images menées de façon virtuose par un grand gosse qui donne vie à des jouets et réalise des rêves.

Le final s'élève dans des choix artistiques vraiment réussis, le tyrannosaure au milieu des flammes, hurlant sa rage et sa détresse dans une belle teinte ambrée au milieu d'une cathédrale tombant en ruines, comme appelant Noé qui l'a semble-t'il définitivement oublié sur son Arche.
Un clin d'oeil ironique plutôt cool trouve-je.

Ce film, c'est Ray Harryhausen dans la cour de récré, gamin jouant comme un p'tit fou aux cowboys, aux indiens et aux dinosaures. Et putain que c'est communicatif !

Créée

le 29 mars 2013

Modifiée

le 29 mars 2013

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zombiraptor

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