Je déteste ce film.
Je le déteste pour avoir été l'inspiration d'un nombre incroyable de films mièvres et remplis à ras bord de bons sentiments.
Je le déteste pour les aspects de téléfilm M6 qu'a son scénario au premier abord.
Je le déteste pour son côté prévisible, facile. Car il ne surprend jamais.
Non, ce n'est pas ça... Je le déteste uniquement parce que je ne pourrai jamais retrouver une telle émotion dans un film. Parce que toute ma vie, je chercherai à approcher la perfection de ce film, sans jamais la retrouver. Une sorte de malédiction. A quoi sert-il de continuer à faire des films ou à en regarder après La Vie est Belle ? Et si... et si... Et si finalement, le monde n'était pas mieux sans ce film ? Il aurait mieux fait de ne pas exister. Je regrette qu'il existe.


La porte d'entrée s'ouvre sur un coup de vent.


Las, je fais un tour sur Sens Critique, je vais voir le top 111. Que des films inconnus ! Surpris par tant de changements, je contacte quelques amis, leur demandant où sont les Leone, Hitchcock, DePalma, Truffaut, Ford, Eastwood... Que sont devenus les Kubrick, Bergman, Fellini ?
Où est La Vie est Belle ?
Personne ne semble connaître ces noms.
La Vie est Belle n'a jamais existé.
Sans La Vie est Belle, James Stewart ne s'est jamais relancé dans une carrière d'acteur. Traumatisé par la guerre, il s'est terré chez lui pendant 40 ans, à planter des bégonias et autres tulipes.
Faute de James Stewart, les plus grands films d'Hitchcok n'eurent pas le succès escompté. La Corde n'a attiré que 1500 spectateurs, à peine plus pour Fenêtre sur Cour, et Sueurs Froides ne s'est même pas tourné.


Devant l'échec d'Hitchcock, les studios décidèrent de miser sur des réalisateurs étrangers. Bergman, Fellini, Truffaut furent ainsi appelés au chevet des studios américains dès le début des années 1950. Plutôt que de réaliser les films d'auteur, personnels, qu'on leur connaît, et de révolutionner le cinéma, ils devinrent les premiers faiseurs d'Hollywood, des “Yes Man” qui ne servirent qu'à mettre à l'écran des scénarios prévisibles, écrits à la chaîne par des auteurs exploités et en manque d'inspiration.
L'absence d'Hitchcock a également empêché l'émergence de cinéastes considérés comme ses disciples, tel Brian DePalma. Les films à suspense furent jugés peu rentables et inutiles, remplacés par toujours plus de comédies romantiques sans inspiration.
Stanley Kubrick, grandement influencé par Fellini et Bergman, se lance dans le cinéma dans les années 60. Il est considéré à ce jour comme le réalisateur des plus gros navets de l'histoire du cinéma.
Le Nouvel Hollywood n'a jamais eu lieu, et avec lui c'est Coppola, Scorsese, Allen, Romero et tant d'autres qui n'ont jamais eu la possibilité de s'exprimer.


L'absence de James Stewart fut également fatale à John Ford. The Man Who Shot Liberty Valance ne fut jamais tourné, et le genre du western a disparu. Sergio Leone n'a jamais obtenu le budget suffisant pour tourner sa trilogie du dollar, Clint Eastwood n'a jamais émergé et s'est finalement décidé pour une carrière militaire.


Devant l'accumulation de films impersonnels et inintéressants, le public se désintéressa du cinéma, et la production du dernier film de l'histoire s'acheva en 1986.


Choqué, je cherche alors à déterminer les côtés positifs de la disparition de ce film. La déception permanente, la recherche infinie de cette émotion, devraient avoir disparu ! Le monde devrait être plus heureux !
Pourtant, rapidement je comprends que la tristesse est générale. Pas par comparaison, mais par déception permanente. Comme s'il manquait quelque chose. Chaque personne à qui j'évoque le cinéma me parle d'ennui, d'inutilité... Les cinéphages les plus voraces me content leur quête permanente d'un film qui les bouleverse, qui puisse changer leur vision. Ou simplement qui puisse les rendre heureux.


Alors je regrette.
Je veux que ce film existe à nouveau. Je veux l'avoir vu. Je veux que ce film existe...


https://www.youtube.com/watch?v=rId95N2teUc
Une musique se lance. Auld Lang Syne. Quiconque a vu La Vie est Belle se souvient. Les larmes me montent aux yeux.
Je regarde mon armoire. Le DVD est là.
Ému, je le regarde. Tout fonctionne à merveille. Le scénario semble peu fourni. Pourtant il est merveilleux. Capra sublime chaque situation. James Stewart rayonne. Donna Reed est merveilleuse.
Pas besoin de se forcer, l'émotion vient naturellement au cours d'une dernière demi-heure qui touche au sublime.
Une fois fini, je me rappelle. Qu'on ne peut qu'aimer ce film. Parce qu'il réveille ce qu'il y a de plus beau en la nature humaine : la compassion, l'amour, l'amitié, la générosité... Il nous rappelle tout simplement que la vie est belle.


Des cloches sonnent.
Attaboy, Frank. Attaboy.

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le 7 mai 2015

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