Etonnant que ce long-métrage soit aussi mal considéré à la fois dans la filmographie de Buñuel et dans celle de Gérard Philipe. Dernier chapitre de la période mexicaine du réalisateur, La fièvre monte à El Pao a beau être un film de commande (ce qu'on semble lui reprocher), Buñuel ne s'abstient pas pour autant d'y imprimer sa patte. Au contraire il se réapproprie avec beaucoup de finesse le roman d'Henri Castillou.


D'abord dans le traitement des thèmes de la violence et du désir, leitmotivs de son oeuvre, qui s'imbriquent ici dans une réflexion simple mais passionnante sur le pouvoir et les rapports de force. Ensuite dans la peinture de personnages pétris de contradictions, emblèmes d'un cinéma qui se veut tout sauf manichéen. Dans la tête de Ramon Vasquez s'affrontent en permanence ses rêves politiques utopiques et les sacrifices auxquels il doit consentir pour changer les choses. Ainsi, Buñuel oppose à l'idéalisme de son protagoniste un pessimisme lucide qui n'appartient qu'à lui.


De prime abord un peu confus (dur de bien cerner la hiérarchie de cette dictature insulaire), le récit patine parfois en cassant son propre rythme, mais finit par gagner en intensité, à faire monter crescendo la tension qui se resserre autour de Vasquez. L'atmosphère torride du film n'y est pas étrangère. Tandis que le soleil écrase les hommes, la végétation s'invite aux limites du cadre comme pour resserrer l'étau. La caméra de Buñuel, souvent en mouvement, se permet aussi pas mal de contre-plongées qui donnent une ampleur étrange aux paysages de l'île.


Au milieu de toute cette moiteur, la sublime et déterminée Iñez (Maria Felix) et l'implacable et flegmatique salopard Gual (Jean Servais) volent la vedette à Gérard Philipe. Un peu trop en dedans pour convaincre pleinement dans le rôle principal, l'acteur est peut-être la seule grosse réserve à émettre sur le film, même si sa performance reste largement honorable. L'Histoire a retenu qu'il jouait là son dernier rôle. Son ultime sortie de champ, couplée aux terribles mots de la voix off, colle en tous cas un sacré frisson pour peu qu'on la fasse résonner avec son tragique destin.

Créée

le 2 oct. 2016

Critique lue 592 fois

magyalmar

Écrit par

Critique lue 592 fois

D'autres avis sur La fièvre monte à El Pao

La fièvre monte à El Pao
TL2687
8

Critique de La fièvre monte à El Pao par TL2687

Dans un pays imaginaire d’Amérique Latine, une dictature donc un classique ! Un jeune idéaliste écœuré par les contrastes sociaux entre le luxe des gros propriétaires et la misère du peuple, désire...

le 15 nov. 2023

La fièvre monte à El Pao
YannM2
7

Drame psychologique révolutionnaire

Ce drame franco-mexicain réalisé par Luis Buñuel en 1959 met au prise deux hommes et une jolie veuve. L'auteur révèle des intentions politiques : étude du comportement politique et moral de son...

le 12 déc. 2022

La fièvre monte à El Pao
Ronny1
5

Critique de La fièvre monte à El Pao par Ronny1

Par le décès de Gérard Philippe, deux semaines avant sa sortie, « La fièvre Monte à El Pao » connut un succès inattendu et sans doute usurpé. De nos jours il est considéré comme un des plus mauvais...

le 11 mai 2021

Du même critique

L'Argent
magyalmar
1

Compte dormant

Sans doute fatigué de pondre des drames chiants pour neurasthéniques masochistes, Robert Bresson s'est surpassé afin de nous offrir son ultime chef d'oeuvre, une parabole de science-fiction sous...

le 26 mars 2018

30 j'aime

3

Les Désaxés
magyalmar
5

Huston, le monde Huston

Honnêtement, je pense qu'Arthur Miller aurait pu broder une merveille de scénario en se contentant de la dernière scène dans le désert du Nevada, où tout est dit. Après tout, un bon exemple vaut...

le 2 avr. 2016

23 j'aime

2

Le Guerrier silencieux - Valhalla Rising
magyalmar
1

Alors c'est ça l'enfer

Refn est un sacré déconneur. Le défi de départ était excitant : écrire un scénario en 5 minutes. Malheureusement Nicolas dut se rendre à l'évidence. Ecrire plus de deux pages en 5 minutes c'est pas...

le 4 janv. 2014

20 j'aime

1