LA FILLE DE BREST (16,1) (Emmanuelle Bercot, FRA, 2016, 28min) :


Biopic citoyen retraçant le parcours d’Irène Frachon, pneumologue du CHU de Brest, qui va étudier de longues années les effets de la prise du Mediator sur les patients avant de révéler le scandale sanitaire et de s’attaquer aux laboratoires Servier, fabricant du médicament. La talentueuse Emmanuelle Bercot (réalisatrice, actrice et scénariste) découverte en tant que metteur en scène avec le troublant Clément (2001), puis notamment le brillant téléfilm « Mes chères études » (2009), le touchant Elle s’en va (2013) et le poignant La tête haute, présenté en ouverture au Festival de Cannes 2015 revient avec l’adaptation du livre témoignage d’Irène Frachon Mediator 150 mg publié en 2010. La réalisatrice s’empare de ce combat « David contre Goliath » en s’inspirant de la référence américaine Erin Bokovitch (2000) de Steven Soderbergh. La mise en scène nous plonge directement aux côtés de l’héroïne de façon métaphorique en voyant Irène Frachon en train de nager au milieu de la mer, manquant de se noyer pour souligner le futur combat qui l’attend où elle va se retrouver à lutter contre vents et marées. La deuxième scène plus explicite nous emmène au cœur d’une salle d‘opération où la caméra filme sans artifice et de façon organique cette intervention et l’on découvre de vrais médecins opérer sur de vrais organes malades avec la présence d’Irène Frachon pour prendre des clichés. Emmanuelle Bercot prend le parti pris réussi de suivre le parcours du combattant de cette femme sous l’influence du thriller en incrustant à l’écran des dates repères telle une course contre la montre, insufflant un rythme à la narration qui ne connaîtra scénaristiquement parlant aucun encéphalogramme plat. La caméra intuitive et inspirée va suivre au plus près les différentes étapes de la dénonciation du scandale. Une histoire haletante où la caméra témoin suit la pneumologue aux pas déterminés n’ayant de cesse de bousculer les protocoles hiérarchiques habituée à l’inertie (bien souvent pour des raisons de crédit de recherches ou autres…) pour prouver ses doutes sur la responsabilité du médicament Mediator prescrit dans un premier temps aux diabétiques puis comme d’un « coupe-faim » en surpoids provoquant des valvulopathies et des pathologies cardiaques pouvant être mortelles. L’intelligence scénaristique met également bien en lumière les allers retours Brest-Paris soulignant ainsi le mépris des laboratoires et des institutions parisiennes vis-à-vis de la province et les sacrifices familiaux qu’engendre ce combat d’une vie. Ce film dossier retrace avec un jargon étayé mais de manière fluide les premières études épidémiologiques effectuées avec l’aide indispensable d’Antoine le Bihan collègue chercheur du CHU de Brest, les premières confrontations avec le laboratoire Servier, les diverses réunions devant des commissions d’institut publique comme l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, le retrait du médicament en 2009, la publication du livre puis l’emballement médiatique. Chaque étape du combat citoyen dans la dénonciation contre le cynisme des lobby pharmaceutiques trouve sa force illustrative par le choix d’Emmanuelle Bercot de rendre justice à la souffrance des corps des malades n’occultant en rien la gravité de leur cas (scène d’autopsie crue, mort d’une patiente proche d’Irène Frachon), le nombre de décès d’au moins 500 morts, mais n’oubliant pas des trouées d’air bénéfiques permettant aux spectateurs de souffler et de rire un peu. Ce récit sous forme de thriller s’accompagne de dialogues parfaitement ciselés, érudits mais jamais abscons, parfois truculents et quelquefois même en version originale dans la langue de son actrice. Car l’incarnation de la pneumologue par Sidse Babett Knudsen (Borgen, Duke of Burgundy, L’hermine) un peu déroutante au prime abord s’avère judicieuse, tant la composition multi formes de cette comédienne danoise s’avère une nouvelle fois épatante de déterminations, de doutes, de peurs, d’espoirs et de malices. A noter la composition sobre et efficace de Benoît Magimel et la participation de Gustave Kerven dans son premier rôle de « têtu breton » jouant l’éditeur du livre. La musique parfois un peu trop présente souligne régulièrement le rythme trépidant du film et les émotions qui en découlent. Cette œuvre « de guerre » bien documentée, offre une adaptation très réussie de l’ouvrage et de la résistance de la pneumologue, un scandale symbole des intérêts humains contre les intérêts financiers. Emmanuelle Bercot prouve à nouveau l’importance de son cinéma ouvert sur le monde qui l’entoure et socialement bien ancrée dans une réalité pas toujours rose mais dont elle tire toujours une lueur d’espoir grâce à sa caméra Lumière. Venez être en colère en découvrant l’enfer du décor de cette lanceuse d’alerte, une vraie héroïne qui nous rend humble et magnifiquement restituée dans La fille de Brest. Efficace, prenant, touchant et salvateur. Justement humaniste.

seb2046
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le 22 nov. 2016

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