Là-haut
7.5
Là-haut

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Bob Peterson (2009)

Pour s'autoriser un tel tour de manège sans que le résultat ne perde son unité, il faut être d'une rigueur imperturbable.


Pourtant, Là-haut est blindé d'humour, à croire que le film est une comédie pure. Tout faux, voyons : c'est un drame hanté par la solitude, avec tout ce que cela sous-entend de nostalgie douloureuse. Encore raté, Là-haut est un film d'aventures et rien d'autre, avec force récit globe-trotter et péripéties en milieu naturel. Tss, ridicule, vous voyez bien que c'est un film sur le cinéma ! Le regard éperdu d'un gosse devant la toile, les dessins préparatoires qu'il travaille avec sa jeune amie et future compagne, leur dialogue par nuages interposés, et surtout sa confrontation avec le héros de son enfance, nemesis dont il découvre le gouffre qui sépare l'homme de l'idole ! C'est pas ça non plus ? Rhaaa...


Formidable travail scénaristique, Là-haut pose des arguments difficiles à entremêler. Rare Pixar à s'étaler sur une durée aussi généreuse (environ 65 ans, soit six fois plus que les trois Toy Story réunis !) le film de Pete Docter prend le pari de démarrer par son pic émotionnel, soit une séquence dénuée de dialogues où est contenue toute la tendresse d'une vie à deux. Faussement idyllique, cette parenthèse ne nécessite qu'un bête travelling latéral pour passer d'une émotion à son contraire, l'évidence de la mise en scène renvoyant aux plus belles heures du cinéma muet. Naissance et vie des sentiments puis mort d'un partenaire qui laisse l'autre en proie à une solitude extrême : sur le papier, tout est là pour développer un pur mélodrame.


Hallucinante rupture de ton longue de 80mn, la suite embellit et contredit ce prologue, à la tristesse attendue répondant une espièglerie de tous les instants. Au lieu d'alterner rires et larmes, Là-haut fait de sa drôlerie un véritable puits d'émotions complexes, masquant derrière un gag bien senti des enjeux autrement plus poignants. Intelligemment, la mise en scène s'attardera sur les textures et les objets qui composent sa maison volante (un portrait, une boîte aux lettres, le fameux Livre d'aventures...). Le prologue ayant focalisé notre attention sur les êtres, Là-haut dirige ensuite notre empathie vers les choses, les éléments matériels palliant à une absence qu'ils sont les premiers à souligner.


Pixar ne s'arrêtant pas en si bon chemin, cet équilibre devient le cœur du projet. Maître de ses effets, Pete Docter passera sans coup férir d'une pause contemplative à un climax à la King Kong où se mélangent des actions en parallèle, des gags parfaitement scénarisés et une utilisation percutante de l'altitude. Un authentique morceau de bravoure où le courage des plus timides joue un rôle majeur ; une constante chez Pixar, dont les grandes réussites invitent à laisser leur chance aux protagonistes improbables, sans qu'ils ne reçoivent l'aide d'un deus ex machina. Coup d'éclat où le rire et l'implication émotionnelle sont en osmose, le final de Là-haut en remontrait à toutes les sorties estivales de 2009, live et animation confondus. Bourré de sens, ce dernier quart d'heure ouvre en plus la porte à un drôle de parti-pris.


Mêlant abordage d'un navire, comique de situation, apartés animaliers, sauvetage à ciel ouvert et duel à l'arme blanche, ce climax aérien transforme son gentil papy en héros dynamique, l'accomplissement de ses rêves d'antan agissant comme un bain de jouvence. Plus âgé encore, son adversaire démontre la même énergie, la même hargne à accomplir ses objectifs de jeunesse. Scientifique devenu dangereux criminel à force de poursuivre une chimère, ce bad guy fait sacrément plaisir à voir : amoureux des bêtes dont l'armée de chiens parlant constitue à la fois un gag inépuisable et un bestiaire solide, l'homme n'est pas mauvais par nature mais rendu violent suite à une injustice, humiliation publique qui l'a affecté au point de le rendre capable d'assassiner un gosse en le jetant d'un dirigeable qui en fit jadis rêver des millions...


Digne de Billy Wilder et Peter Jackson réunis, Là-haut est un chef-d'œuvre d'autant plus merveilleux qu'il peut se revoir en boucle avec un plaisir égal. Et s'il possède la grâce de ces films qui nous accompagneront une vie durant, ce n'est pas uniquement parce qu'il oppose la mâchoire carrée d'un vieux rêveur au faciès rondouillard d'un petit garçon maladroit. La fourchette d'âge recouverte par ces deux-là n'est qu'un chiffre de plus, les gamins que nous sommes tous un peu restés pouvant verser une larme non-feinte pour Carl Fredricksen pendant que nos doyens retrouveront une part d'innocence à l'écoute du jeune Russel, orphelin de mère dont le passé reste contenu en une ligne de dialogue évasive. Un moment de pudeur parmi d'autres, le temps d'une aventure au cœur gros comme ça.

Créée

le 8 mai 2015

Critique lue 585 fois

30 j'aime

9 commentaires

Fritz_the_Cat

Écrit par

Critique lue 585 fois

30
9

D'autres avis sur Là-haut

Là-haut
Grard-Rocher
8

Critique de Là-haut par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Carl Fredricksen, un jeune gamin timide et introverti, ne savait pas que le goût de l'aventure le tenaillerait à ce point après avoir vu sur un écran de cinéma le célèbre explorateur Charles F.Muntz...

73 j'aime

32

Là-haut
Gand-Alf
9

Spirit of adventure.

Après avoir réussi haut la main le pari de nous émouvoir avec des jouets, des monstres, des insectes, des poissons, des rats ou encore un robot, le studio Pixar construit son dixième long-métrage...

le 10 juil. 2015

70 j'aime

5

Là-haut
Torpenn
6

L'Hélium de la situation

Dix minutes de tentative pour voir Raiponce, abandon à la première chanson, et mon Dieu que c'est moche ! On se rabat sur Up qui m'a toujours un peu tenté, un vieux qui se casse en maison à ballons,...

le 19 juil. 2011

67 j'aime

49

Du même critique

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Fritz_the_Cat
9

La Prochaine fois je viserai le coeur

Ca tient à si peu de choses, en fait. Un drap qui se soulève, le bruit de pieds nus qui claquent sur le sol, une mèche de cheveux égarée sur une serviette, un haut de pyjama qui traîne, un texto...

le 4 sept. 2022

222 j'aime

34

Lucy
Fritz_the_Cat
3

Le cinéma de Durendal, Besson, la vie

Critique tapée à chaud, j'ai pas forcément l'habitude, pardonnez le bazar. Mais à film vite fait, réponse expédiée. Personne n'est dupe, le marketing peut faire et défaire un film. Vaste fumisterie,...

le 9 août 2014

220 j'aime

97

Le Loup de Wall Street
Fritz_the_Cat
9

Freaks

Rendre attachants les êtres détestables, faire de gangsters ultra-violents des figures tragiques qui questionnent l'humain, cela a toujours été le credo de Martin Scorsese. Loin des rues de New-York,...

le 25 déc. 2013

216 j'aime

14