Produit et distribué grâce au renouveau du genre et au succès de bandes comme 28 Days Later, L'Armée des morts et Shaun of the dead (dont le duo Wright-Pegg fait ici un caméo sous forme de zombies), Land of the dead s'en distingue notamment par la vision acerbe de son réalisateur. Là où la grande majorité des autres films de zombies se contentent d'aligner les jeux de massacres plus ou moins gores, ceux de Romero reflètent sensiblement les dérives sociales et politiques de leurs époques de production. Le réalisateur s'est toujours servi de l'archétype du mort-vivant comme d'un prétexte pour brocarder les travers d'une humanité piégée dans un système de valeurs illusoires. A travers son objectif, le zombie est bien plus qu'un cadavre vorace en putréfaction, il devient le spectre d'une humanité décadente, prisonnière de sa condition moderne au point de déambuler sans but ni raison, incapable de prendre conscience de la désolation qui l'entoure et dont il fait désormais parti. La démarche chaloupée, le regard vitreux, le zombie de Romero est devenu l'archétype idéal de tout un pan du cinéma fantastique et d'horreur car il personnifie à lui-seul l'inconcevable détermination d'un défunt à s'accrocher désespérément à ses derniers réflexes d'humanité. C'est un monstre moderne à visage humain et dont l'état de décomposition plus ou moins avancée nous confronte à notre triste condition d'êtres éphémères, rongés par le temps.


C'est donc en 2004 que Romero décide de revenir au genre qui l'aura consacré. S'inspirant de l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis, il réécrit un de ses anciens scénarios pour adapter cette séquelle à son époque. Une seconde version du script qui suffit à convaincre les studios Universal d'allouer au réalisateur le budget modeste de 15 millions de dollars pour nous livrer son très attendu Land of the dead, quatrième variation sur le sujet de l'homme qui aura durablement influencé toutes les fictions du genre.


Dès sa scène d'intro, Romero prouve qu'il n'a pas perdu la main et choisit de nous mettre directement en présence de ses fameux morts-vivants lesquels peuplent une petite bourgade désolée. Incapables qu'ils sont de prendre pleinement conscience de leur état, ceux-ci y reproduisent inlassablement la routine d'un quotidien disparu. Chaque défunt y reprend pathétiquement ses habitudes de vivants : un zombie en costard trimbale mollement son attaché-case, un autre essaie de souffler dans une trompette, enfin un pauvre pompiste tente de faire fonctionner en vain sa pompe à essence.


En présentant frontalement ses zombies lents et pathétiques, Romero prend ouvertement le contre-pied de ses imitateurs et de leurs zombies véloces et acrobates. Cette séquence d'ouverture surréaliste est bientôt interrompue par l'attaque de mercenaires, bien vivants eux, et qui massacrent allègrement les pauvres zombies tout en pillant la ville moribonde (un événement qui fait évidemment écho au passage des motards dans Zombie). A ce carnage répond alors un des morts-vivants (le pompiste susmentionné) qui retrouve des réflexes belliqueux en tombant en possession d'une arme à feu dont il arrive à en comprendre le fonctionnement. Surnommé Big Daddy, ce zombie (semblable d'un point de vue cognitif au zombie "domestique" Boubou du Jour des morts-vivants), plus malin que les autres, va progressivement s'imposer comme le meneur improbable de ses congénères et les mener vers la révolte. Cette satire à peine déguisée de notre mode de vie prend alors une tournure plus contestataire qui se révèle pleinement lorsque Romero nous présente la principale unité de lieu de son intrigue, la ville de Pittsburgh ou plutôt ce qu'il en reste, devenue ici une cité fortifiée et le dernier refuge d'une humanité décadente. Un bunker urbain où toutes sortes de mendiants et de trafiquants hantent les bas-fonds tandis qu'une poignée de nantis se calfeutrent au sommet de luxueux gratte-ciels. Régie d'une main de fer par Kaufman (le cabotin Dennis Hopper), sorte de Gouverneur avant l'heure et clin d'oeil évident au maire de New York de l'époque, Rudolph Giuliani, la cité autarcique qui lorgne habilement du côté du New York 1997 de Carpenter, s'apparente ici nettement à un constat critique d'une Amérique encore sous le coup du trauma du 11 septembre. Au-delà, on peut également voir dans les assauts de ces morts-vivants une certaine métaphore de la classe ouvrière se rebellant contre le capitalisme le plus sauvage, Romero n'ayant jamais caché être un cinéaste de gauche. D'ailleurs rares sont ses films (de zombies ou non) dans lesquels ne transparaissent pas ses idéaux politiques. Le motif récurrent du mort-vivant dans l'oeuvre du réalisateur a toujours été pour lui le prétexte idéal pour refléter le climat social et politique de son époque. Après la ségrégation raciale et le trauma du Vietnam en 68, les excès de la société de consommation en 77 et le militarisme en 87, ce sont donc les répercussions des attentats du 11 septembre et les dérives du capitalisme sauvage qui transparaissent dans ce quatrième volet.


Cependant, ici le propos du réalisateur se fait beaucoup moins subtil que dans ses opus précédents et ce au point d'en devenir parfois outrancier. A trop vouloir dénoncer à voix haute les dérives du grand Capital, Romero en oublie parfois de divertir. Son scénario, loin d'être irréprochable, enchaîne ainsi sans réelle originalité les situations convenues (on n'échappe pas à la traditionnelle boucherie finale) et nous présente une galerie de personnages tous plus stéréotypés les uns que les autres, que ce soit ces mercenaires burinés ou ces survivants mercantiles. Côté interprétation, Dennis Hopper compte ses billets et nous ressert sans effort son numéro de salopard cupide (il joue le même type d'ordure rigolard que dans Speed, Top of the world, Explosion imminente et même Waterworld). A croire qu'aussi talentueux qu'il était (remember sa prestation dans True Romance), le cinéma et les rôles qu'on lui proposait à la fin de sa vie ne lui inspirait plus la moindre inspiration pour prendre la peine de varier son jeu. Simon "Mentalist" Baker, quant à lui, trouve ici l'un de ses rares rôles principaux au cinéma et interprète un héros valeureux mais quelque peu falot et sans réel charisme. Quant à Asia Argento, elle nous rejoue les amazones trash sans réelle profondeur. Il n'y a finalement que le sympathique John Leguizamo, éternel second rôle, qui tire plus ou moins son épingle du jeu dans le rôle de Cholo, mercenaire pugnace et versatile, poussant son instinct de survie jusque dans ses retranchements les plus mortels.


Pas mal de défauts donc dans ce quatrième opus qui n'arrive pas toujours à renouer avec l'esprit subtilement satirique de la trilogie initiale. Comme si après toutes ces années loin de ses morts de prédilection, Romero n'arrivait pas à retrouver la virulence contestataire de ses précédents opus. Peut-être est-ce dû à certaines concessions qu'aura dû faire le cinéaste vis-à-vis de ses producteurs, Land of the dead étant le seul film de la saga à être une production hollywoodienne là où les autres ont tous été financés de manière quasi-indépendante.


C'est d'autant plus dommage que le film part sur de bonnes bases et prend le temps de développer dans son exposition un background des plus alléchants, multipliant les personnages tout autant que les enjeux. Qui plus est, les scènes d'attaques des zombies sont plutôt bien emballés et confinent l'ensemble du film à une forme de survival apocalyptique de plus grande ampleur que les précédents opus. A travers ces péripéties nocturnes (rares sont les passages diurnes dans le film), Land of the dead brosse la description cafardeuse d'un monde désormais dominé par les morts. S'appuyant à ce titre sur une direction artistique de qualité (et ce malgré la médiocrité de certains décors), Romero instille efficacement une atmosphère des plus désespérée reléguant l'humanité à une espèce d'ores-et-déjà perdue, prête à sombrer dans le gouffre absolu de l'oubli pour léguer le monde à ses défunts. Le film gagne ainsi à s'inscrire dans la continuité logique du triptyque initial, appuyant de ce fait toute la cohérence de la mythologie établit par Romero, trente-sept ans plus tôt.


En définitive, Land of the dead demeure un bon film du genre, totalement représentatif du style de son auteur. Malgré ses imperfections, ce quatrième opus se regarde toujours aujourd'hui avec un certain plaisir. Depuis ce Territoire des morts, Romero a livré deux autres opus, aux budgets bien plus modestes et aux qualités inégales. Et si l'on ne peut qu'être peiné de constater que ce réalisateur n'ait jamais vraiment pu s'affranchir de l'archétype horrifique qu'il a forgé, force est de reconnaître qu'il a toujours su le renouveler avec brio.

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le 12 nov. 2015

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Buddy_Noone

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