Se plonger dans sa première expérience Dolan après avoir vu pleurer le cinéaste au Festival de Cannes 2016, c’est un peu avoir l’image après le son, l’exemple après la théorie. Laurence Anyways, si j’en crois les critiques que j’ai pu lire sur ses précédents films, c’est la continuité d’une œuvre sensiblement portée sur la passion, l’hypersensibilité, la poésie, et l’envolée lyrique sous fond de musique electro/pop.
Mais malgré une patte personnelle dont il n’est pas difficile de déceler le génie dès l’ouverture de ce troisième film, l’accumulation de « clips » illustrant les atermoiements incessants d’un couple qui s’aime et se déchire inlassablement symbolise à première vue la faiblesse de l’objet ; la fresque est longue, trop longue peut-être, et on se demande d’abord si l’étendre sur 2h40 était vraiment nécessaire.
Puis on revient aux prémisses d’une métamorphose, pour ensuite découper le film en étapes complétives. Et on se dit qu’elle commence là la raison d’une telle longueur. Parce que Rome ne s’est pas faite en un jour, parce que Laurence (Melvil Poupaud) ne s’est pas envolé(e) aussi vite. L’image est éculée mais l’idée, elle, est bien là et s’exploite dans un triptyque somme toute assez convaincant sur la déconstruction et la reconstruction (ne serait-ce qu’en s’appropriant un « je » féminin), sur le développement individuel et l’épanouissement personnel. De la chenille au papillon, de la naissance à l’âge adulte, de la naïveté à la maturité, avec sa nécessaire marche intermédiaire.
Mais ce portrait individualiste sur une décade ne saurait expliquer à lui seul une telle durée. C’est pourquoi Dolan ne se contente pas de suivre Laurence en tant qu’entité ; il l’utilise également en tant que composante d’un couple pour qu’on assiste à un autre triptyque, cette fois axé autour de l’acceptation (par Fred, sa copine (Suzanne Clément), par la société). De la lune de miel au divorce, de la naissance à la mort, de la passion à l’indifférence, toujours avec un milieu plus ou moins heurté.
Laurence Anyways, au bout du compte, c’est la jonction pourtant impossible entre ces deux parallèles qui ne peuvent s’éviter, et qui, parfois même, se chevauchent ou s’éloignent. C’est, plus simplement, le choc de la liberté individuelle face au mur des normes sociétales, quand le Moi est confronté à autrui. Et c’est, enfin, un combat infini entre l’intime et l’idéal, entre l’Amour et son souvenir, dont l’issue elle-même, sublimée par un final des plus évocateurs, est marquée par un dualisme entre beauté et nostalgie.
Alors, non, ce n’est peut-être pas si long, 2h40. Peut-être même que ça ne suffit pas quand certains aspects sont traités inégalement. Mais on peut toutefois ne pas adhérer totalement au sujet, au sensibilisme, à la mise à nue. Car si Xavier Dolan « préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence » (Anatole France, cité lors de la remise de son prix au Festival de Cannes), on peut néanmoins lui rétorquer que le fossé est grand entre préférer et être passionné. Ce n’est pas un choix qui l’anime, c’est un état subjectif sur lequel il n’a pas prise et qui n’est pas donné à tout le monde. Par contre, quand ce subjectif est si bien projeté, même l’indifférent, à défaut de devenir fou, ne peut en effet que l’envier.
Note : 8/10