Lointainement inspiré d'Hansel et Gretel des frères Grimm, Le bois lacté est un premier film lunaire, minimaliste et profond, signé Christophe Hochhausler (L'Imposteur, Sous toi la ville). Ce projet de fin d'études devenu long-métrage peut frustrer et enchanter. Il est de ces œuvres brassant beaucoup de notions 'banales' et de sensations uniques, difficiles à convertir en idées pures ou à rapporter par les mots. La construction est minimaliste et efficiente, l'ambiance chargée d'électricité et les manières contemplatives. Après l'excellente introduction en voiture, pleine de violence et de frustrations éclatantes (exprimées à des niveaux variables, parfois plus secrets), le rythme sera plus langoureux.


Sans doute le film prend-il trop son temps ; sa distanciation, son déni des impulsions, peut donner l'impression d'un programme décousu. Au contraire il est résolu et accepte les ambiguïtés, les errances et parfois l'immobilisme de ses personnages. Toutes les diversions sont mises de côté et il ne reste que les tensions sourdes remuant Sylvia, Léa et Joseph, éclairées explicitement par les mots ou pour les choix de mise en scène. La fin ouverte, souvent une dérobade, est ici naturelle et justifiée. Ce Bois Lacté semble définitivement illustrer une réflexion de Krishnamurti, résumée par la saillie « La liberté est au début ». Le trio est contraint par des engagements décevants, soulignant des liens artificiels où chacun perd. Les enfants ont une issue. Ils ont toute latitude pour découvrir et comprendre tout ce qui vit et les entoure : Lea le fait activement, Konstantin passivement. Offensive, Lea n'attend de secours de personne, se maîtrise, parfois agresse. Elle ne cède pas aux adultes, refuse leurs abus et n'a que du dédain pour leurs manquements. Le garçon est plus complaisant, soucieux des autres, enclin à être conduit par les sentiments et floué par ses propres caprices.


Au contraire, la belle-mère (une femme un peu tourmentée, nerveusement affaiblie) n'a que des coups à prendre. Pour ne pas s'abîmer trop fort, elle se désincarne mais jamais ne s'oublie – invisible le fardeau reste aussi lourd. Manifestement sujette à un fort désir de sécurité et d'accomplissement palpable, elle reste angoissée par la perspective du succès, par les mensonges nécessaires. Et puis ils surgiraient trop tard. La fermeture marquerait l'échec final, le suicide de toutes chances, la mort des résidus d'illusions qui la font tenir même s'ils n'opèrent probablement plus qu'en arrière-plan. Silvia (Judith Engel) a le mauvais rôle mais inspire une grande tendresse, un désir de pardonner, sans doute parce qu'elle est rendue si facile à comprendre, si vulnérable et perdue malgré le triomphe sournois (inutile et assassin pour elle en premier lieu) de sa monstruosité. Elle opère constamment par omissions, demi-aveux, actes manqués. Lorsqu'elle craque sous les assauts de la gamine et l'abandonne avec son frère, c'est bien sûr pour leur donner une leçon ; mais elle s'écarte assez longtemps pour les laisser disparaître dans la nature.


Et même si elle le refuse ou devra le regretter, même si elle le désire mais doit se modérer : elle le provoque. Pour les enfants c'est une espèce de cadeau, car c'est l'aventure qu'ils attendaient. À eux cette ouverture, à eux l'opportunité de tout créer. La liberté d'échouer ou de réussir, de profiter ou se réprimer, ne les accablent pas encore. Contrairement à Sylvia, menacée à la fois par cette candeur et cet esprit de conquête ; ils vont l'achever en réparant ou ré-inventant leur famille, leur récit sinon. Tout au long du film, on verra des enfants venant à bout de leurs oppresseurs, grâce à la fille Lea, sa ténacité, sa maturité – son absence d'enfance en somme. Écartés de leur père, Lea et Konstantin apparaissent sans guide ni soutien, seuls sur la route. Les adultes ne sont pas fiables, névrosés (le faux sauveur est un minable complet) ; les autres sont des passants falots. Cette déception immédiate est un véritable ticket pour l'affirmation et le développement de soi, car aucune fausse promesse, aucun repère mesquin, ne sera là pour assommer Lea. La victoire est inéluctable (se détacher de la mauvaise mère c'est déjà gagner) et vaut bien le prix de l'innocence, dont les garanties de toutes façons sont bien moisies.


https://zogarok.wordpress.com/2016/02/25/le-bois-lacte/

Zogarok

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