Le Château dans le ciel
7.9
Le Château dans le ciel

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1986)

Attention. La cerise n’ayant pu complètement taire ses ardeurs, cette déclaration d’amour atteint des longueurs qui pourraient en rebuter plus d’un. Il est encore temps de fuir, vite !
(Et si vous vous surestimez et continuez votre lecture, tant pis pour vous, vous subirez, héhéhé !)
(Ou vous cesserez de lire plus loin. Ça me va aussi, je vous aime quand même. ♥)
Attention bis. Spoilers. Mais si cette mention vous concerne, courez voir le film !


Envie d'un fond sonore approprié ?


Le Château dans le Ciel est une mise en abîme.
Mais si, puisque je vous le dis ! C’est une œuvre de minutie, délicatement polie par la main habile d’un artisan, et même d’un artiste, qui a cherché la meilleure façon de nous rendre étincelante l’expression de ses émotions les plus profondes et captivantes. C’est un éclat céleste, tout droit tiré de la galaxie géologique qui s’étend sous nos pieds. Une pierre volante à lui tout seul.


Assez souvent, par un phénomène de réfraction physique des plus basiques, il arrive que cette création fasse naître des étoiles dans les yeux émerveillés de ceux qui se sont laissés prendre à la contempler.
Ce fut mon cas. Ce le fut peut-être pour vous aussi. Et si ce ne le fut pas, j’espère que ça le sera un jour, ou qu’au moins une autre œuvre vous fait le même effet. Autrement, c’est très triste et je vous autorise à pleurer un petit coup avant de poursuivre.


Reprenons donc. En m’éblouissant, son talent doucement posé autour de mon cou, Miyazaki a réussi à me faire voler sans que je n’aie à quitter mon canapé : au fond de moi, j’étais dans le ciel. Je ne tombais ni ne m’élevais, je flottais. Comme si en lançant le film j’avais pénétré une parenthèse qui ne se refermerait qu’une fois celui-ci terminé, en me laissant l’incroyable sentiment de ressortir à l’endroit exact où je m’étais laissée. Après quoi il ne me restait plus qu’à contempler ce bijou de folie laissé derrière moi, et à applaudir, le cœur chargé de bonheur et les yeux bercés par cette éclosion de la virtuosité. Reste aussi la certitude que j’aime profondément ce film d’animation et qu’il sera extrêmement difficile de l’égaler un jour à mes yeux.


Pourquoi ? Quelle est cette magie qui parvient à me rendre irrémédiablement plus heureuse lorsque je me perds dans le monde animé par ce diable de Japonais ? Qu’est-ce qui fait que je me sens immédiatement là où je dois être, à me laisser porter au gré d’images que je connais par cœur et que je redécouvre pourtant chaque fois avec plus de bonheur ? Il y aurait trop à dire, trop à écrire pour vraiment exprimer ce que je peux ressentir, mais tâchons d’essayer de mettre quelques mots sur l’étrange maladie qui me fait adorer chaque scène à la folie.


Pourquoi est-ce que je l’aime, donc ?


Peut-être parce qu’il s’agit là de l’une des plus fabuleuses histoires d’aventure qu’il m’ait été donné de voir ? Une rocambole qui réunit pirates, organisation secrète, robots, château et vaisseaux volants, au détour de paysages magnifiques et autour d’une petite pierre magique.


Peut-être aussi est-ce la musique, fabuleuse composition de Joe Hisaishi, qui donne à chaque scène l’intensité ou la légèreté dont elle avait besoin pour s’épanouir ? Elle rythme tout à fait les moments de tensions, se charge d’émotion lorsqu’on se retrouve au plus près des personnages et de leurs tourments, et parvient à exalter la splendeur des images pour ne surtout pas en dissimuler la beauté. Même sans rien y voir, les notes sont capables de continuer à me faire voyager.


Mais, je ne ferme pas non plus les yeux, parce qu’il y a de quoi délicieusement les enchanter avec ce qu’il y a à voir. Les détails qui percent l’image foisonnent de tous côtés, on pourrait presque faire pause pour mieux profiter de la richesse graphique de l’univers ici décrit. Ça grouille de vie et on participe aussi. On rattrape une petite fille qui brille au milieu de la nuit comme une étoile, on est porté par le vol de colombes tandis qu’une petite vallée se laisse animer par le soleil levant, on est impressionné par le robot qui s’élance aux sus des flammes pour sauver une petite fille avec des nattes, on se laisse écraser par l’architecture pétrie de nature de Laputa aperçue au travers des nuages, on marche dans l’écrin de verdure qui a envahi le cœur de cette ville aérienne... On en vient même à exploser avec la bâtisse quand le mot interdit est prononcé.


Les couleurs ne se limitent pas aux images. Oh non ! On a également droit à une splendide palette de personnages, tous vivants et colorés, avec leurs nuances et leurs personnalités bien marquées. Les mineurs à qui on ne la fait pas, la joyeuse bande de pirates à la morale plus que contestable, les militaires cupides mais aussi complétement stupides...

Et puis Pazu, le petit garçon le plus intrépide du monde. Il a encore bien assez de place dans le cœur pour se laisser émerveiller par ce qui l’entoure et pour prendre le temps de rêver à devenir un aventurier à son tour. Il a aussi des lunettes d’aviateur, des colombes au bout de la trompette et de grandes responsabilités dans sa mine de charbon... Ce qui lui confère une certaine classe, avouons-le.
Et aussi Sheeta, la petite fille la plus courageuse du monde. Elle aurait toutes les raisons de s’insurger et de tout laisser tomber, parce que bon sang ! on dévore son enfance pour des légendes et des contes de fées illusionnés ! Mais non, elle reste déterminée et se laisse tirer sur les nattes sans broncher. Elle est touchante avec son audace et sa timidité, et il n’y a qu’à la voir rire aux éclats à la première occasion pour être pris de tendresse pour cette petite princesse tombée du ciel.
Oh, leur amitié coule avec douceur et évidence. Elle donne lieu à des scènes pleines de candeur et d’innocence, me rendant envieuse et même presque amoureuse de ce qui les lie. La vie a été difficile avec ces deux prématurés de la tristesse : ils ont presque trop de responsabilités pour rester des enfants, et ils demeurent de trop grands rêveurs pour être déjà adultes. J’ai envie de les prendre dans mes bras, de leur dire que tout ira bien, mais cela ne les empêchera pas d’avoir à lutter pour que ça aille enfin.


Il y a le principal antagoniste aussi. Le grand méchant, Muska. Prenons un homme, jetons-le dans ses démons les plus vifs et les plus ardents... Et repêchons la chose une fois qu’elle aura été rongée par la folie et la tyrannie au point de ne laisser qu’une larve de monstruosité, palpitante et suintante, souillure infâmante de l’humanité, personnifiant admirablement l’obscure hantise de tout détruire et un obscurantisme à nous en faire pâlir. Cachons la bavure ainsi obtenue dans une créature à l’apparence somme toute banale. Il pourrait presque passer pour un homme, s’il ne dévoilait pas l’imposture au moindre de ses gestes.
Certains trouveront qu’il est la dette d’un manichéisme latent dont l’œuvre n’a pu se déjouer malgré un Miyazaki au volant. En ce qui me concerne, j’y vois plutôt la dégénérescence de l’humanité lorsque celle-ci croit, égocentrique, que la magnificence de ses créations est uniquement du fait de sa créativité. Comme s’il fallait négliger, malmener, détruire les matières premières lui permettant d’exister. Une humanité qui se sent toute puissante à en oublier le monde, qui se sent exister uniquement parce qu’il n’y a plus rien d’autre à regarder. Une humanité fichtrement laide et qui transparaît parfois, au détour d’une vie, contaminant toutes les autres, telle la vile et tentaculaire raclure qu’elle cherche à être. Non, vraiment, je ne vois décidément pas ce qu’il y a de manichéen dans le fait de parler de cette humanité-ci. Après tout, on peut représenter un être moche et pourri de l’intérieur sans pour autant baffer le réalisme voulu par le conteur.


Hum... Peut-être bien que toutes ces petites choses participent à faire de ce film une réussite. Mais il y a quelque chose de plus profond que ça, quelque chose qui le rend unique et qui me fait confirmer à chaque visionnage que son créateur est un véritable génie.


Hayao Miyazaki sait nous donner l'impression que son monde est aussi le nôtre.


Mais oui ! Parce que Miyazaki est passé par là, Le Château dans le Ciel va au-delà d’un récit d’aventure avec de la bonne musique, des personnalités riches et de jolies images. Ce monstre de créativité sait faire vibrer notre sensibilité avec quelques images, quelques sons, quelques mots lâchés de-ci de-là... Il a l’art et la manière de les agencer les uns avec les autres sans nous laisser de côté. Il parvient à émouvoir, en suggérant des sentiments d'une franchise et d'une authenticité incroyables, même dans sa description de l'imaginaire, de l’irréel, de ce qui n’existe que grâce à quelques traits sur du papier carbone.


Et cet étrange vertige que je ressens lorsque je regarde Le Château dans le Ciel ?
C’est le Syndrome de Miyazaki.
Celui qui nous écrase sous la puissance de sa poésie. Celui qui nous enserre dans une onde d’émotion, qui nous comprime sous le coup de la passion, et qui nous anime autant que les images le sont. Celui qui nous fait non plus regarder mais vivre son art. Qui nous fait aimer la vie, même au-delà des limites du film. Qui déborde sur nous et nous contamine en nous poussant à chercher en toute chose un trésor caché.


Comment, on ne me croit pas ? Illustrons ! Il y a au centre de cette planète une multitude de grottes et de brèches, de crevasses et de galeries. On n’y voit souvent qu’un gros tas de cailloux un peu fades qui compose un sol trop connu pour être encore vu. Quand on l’a seulement vu un jour, bien sûr. Mais cette fois, il suffit d’une scène pour nous laisser engloutir par les profondeurs de la Terre, nous pousser au sein de l’obscurité et nous éloigner de la fureur du monde des humains. Comptons un temps de pause pour profiter avec Sheeta et Pazu de la simplicité reposante du refuge de fortune... et voilà que le ballet commence ! On éteint la lumière sur nos connaissances illustres et nos idées préconçues, et on assiste à la naissance d’une voie lactée dans la grotte abandonnée. On se retrouve englouti par un ciel minéral, plus vivant que vital, qui donne le vertige à nous en faire perdre le sens de la gravité. On flotte là, au milieu de ce récital enflammé, comme si le monde entier se mettait à danser de ses particules élémentaires et des tréfonds de la Terre. C’est là que Miyazaki a été parfait : il nous a ramené à contempler l’infiniment petit comme une magie. Délicatement, il a étendu le ciel sur les parois de la roche, nous plongeant dans un noir bleuté et mélodieux, dans l’obscurité de l’immense. Si la distance entre nous et le ciel est restée la même puisqu’il y a toujours la même quantité de roche et de galeries au-dessus de nos têtes, une étincelle de vie s’est glissée sur le chemin et nous fait passer à une nouvelle échelle de beauté. Et là, doucement, on contemple la roche chanter.
Lorsqu’on en ressort, notre regard sur le monde n’est plus le même. On respire plus fort avant de pointer des yeux les particules de trésors qui nous entourent. On prend un peu plus garde à l’existence et à sa capacité à être immense où qu’on y pose le regard. Tout peut nous emmener dans une réalité illuminée, plus belle, plus colorée, tout peut nous déposer dans une grotte enflammée, dans une mine de pierres qui permettent de voler. Il suffit de savoir comment et où regarder. Il suffit juste d’espérer.


Je me souviens de mon premier visionnage. J’étais toute petite à l’époque et je le regardais sans me rendre compte de ce qu’il serait aujourd’hui pour moi. Je savais juste qu’il y aurait de fortes chances qu’il me plaise autant que les autres films que j’avais vus de Miyazaki par le passé. Quoi qu’il en soit, replaçons-nous dans l’ambiance. Il y a ce moment où on se laisse prendre dans une tempête juste avant de découvrir le Laputa qu’on attendait fébrilement. Un moment où on se fait secouer alors que la nuit nous englobe et nous emprisonne, où l’on s’accroche à la vie tandis que celle-ci frissonne. La peur s’empare de nous et les éclairs nous foncent dessus, occupant magistralement l’espace clos des nuages. La lumière donne à notre Pazu des airs de renard tandis qu’il serre les dents, clair-obscur magnifique pour une nuit qui s’embrase. Tout gonfle autour de nous comme pour nous oppresser. On perd pied, secoués de tous côtés, à ne plus savoir où poser le regard, ou même s’il y a quelque chose à regarder. Clac ! Le vent nous malmène. Boum ! Les secousses s’enchaînent. Le petit cerf-volant est électrisé par le mauvais temps. Et on se laisse engloutir par la nuit.
Finalement, le vent cesse de rugir et le calme vient pour nous recueillir. On a foncé dans le nuage, en mettant nos peurs de côté pour ne pas nous éparpiller, faisant finalement naufrage sur l’herbe tendre et fleurie d’une accalmie. On se lève, on vibre, on rit parce que oui, on est en vie ! On danse et on bat l’air de notre joie soulagée. Pazu et Sheeta se prennent dans les bras, heureux de se sentir en vie…


Et puis soudain le voilà. Le tsunami émotionnel du Syndrome de Miyazaki.


L’image gicle violemment au travers de l’écran. L’explosion est sourde comme le cri muet d’un trésor caché au fond du ciel. Il y a dans l’air la douce valse d’une poésie d’images et la mirifique avancée de la créativité humaine. Le souffle est court puis se coupe. Le temps ralentit, se fige. L’image est fixe, comme un grand tableau qu’on examinerait de point en point, ou comme un battement de cœur qui mettrait du temps à prendre fin.


Miyazaki ensoleille Laputa.


C’est cette façon de voir le monde et de nous le présenter, en valsant entre l’intime et le spectaculaire, qui fait que j’aime autant cet anime. Il y a une telle beauté dans la façon qu’a Miyazaki de vanter la splendeur de la vie que le générique de fin me laisse toujours face à une interrogation ultime : comment peut-il y avoir autant de talent dans un seul et unique petit homme ?


Et voilà. À l’époque, je suis restée figée jusqu’à la fin du film, tout étourdie par la déferlante que je venais d’accuser. Le temps n’y a rien changé et aujourd’hui encore, à chaque fois que je le revois, je bois la tasse avec délice.
Le bougre a accouché d’un sacré chef-d’œuvre, tout de même.

Cerys
10
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le 24 janv. 2016

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Cerys

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