Come. It is time to keep your appointment with the Wicker Man.

S'il n'en restait qu'un, ce serait celui-ci, presque sans hésitation.
Et je profite du fait que ce soit le 1er mai, date au centre de l'intrigue du film, pour me décider à en parler.

Tout commence par une lettre anonyme adressée au Sergent Howie, croyant et pratiquant assidu, d'une droiture morale tendant à l'excès, contrebalancée par une grandeur d'âme et une force de caractère qui font de lui une sorte de paladin des temps modernes, un chevalier blanc par excellence.
Cette lettre lui annonce la disparition de la jeune Rowan Morrison depuis plusieurs jours, ce qui ne semble inquiéter personne, pas même sa famille.
Le Sgt Howie va donc devoir se rendre à Summerisle, une île au large de l'écosse, pour mener son enquête au sein d'un population peu habituée aux visites de l'extérieur, et qui nie jusqu'à l'existence de Rowan. Pourtant, clairement, on cache quelque chose au sergent de police, qui persévérera jusqu'à trouver les réponses, si surprenantes et éprouvantes qu'elles puissent s'avérer.

Entre chemin de croix et voyage initiatique, le tout rythmé par l'enquête et les mystères qui entourent l'île, son histoire, ses pratiques. Tout semble mis en place pour éprouver la détermination du policier, l'ébranler dans ses fondements. Il traverse les épreuves animé par une volonté de fer qui, si elle peut paraitre désuette par moment, force malgré tout l'admiration, et on se surprend à aimer ce personnage, si réactionnaire qu'il soit, à éprouver une compassion pour cet homme perdu dans un microcosme qu'il ne comprend pas.

On imagine un chevalier de la Table Ronde perdu dans les terres d'Avalon, là où le Christianisme dictatorial n'a pas su rayonner, stoppé par les brûmes épaisses et mystérieuses du paganisme et des anciens cultes.

Ici, la marque des anciens dieux est omniprésente, au détour d'un chemin, entre les lignes d'un texte, dans les peintures ornant une barque, dans le nom des rues et des échopes, des les bas reliefs d'une pierre tombale, lovée dans les pratiques quotidiennes des habitants de l'île, dans le discours enflammé de Lord Summerisle, campé par Christopher Lee au meilleur de sa forme (de son propre aveu, c'est le rôle de jeunesse dont il est le plus fier), dans l'attitude légère de la fille du tavernier qui, le temps d'une étreinte, devient l'incarnation généreuse d'Aphrodite.

Neil Howie n'a d'autre choix que d'embrasser cette culture, de tenter d'en comprendre le fonctionnement, de percer les secrets de cette communauté qui semble faire bien plus que simplement danser le Dimanche (c'est le premier exemple qui vient à la tête de Howie lorsqu'il explique à son subordonné à quel point ces gens sont des sauvages et des païens)
Quels que soient les chemin empruntés, tout renvoit le policier au 1er mai et ses rites, pierre angulaire autour de laquelle l'intrigue s'enroule, tel un Ouroboros alchimique.

Rowan est-elle vivante ? Existe-t-elle seulement ? Que se passe-t-il le 1er mai sur cette île ?
Les réponses arriveront en temps et en heure.

Mais ne vous y trompez pas, ce film a beau être un film passionnant, un policier halletant, un film d'horreur en dehors de toute convention, il n'en est pas moins un film magistralement documenté.

Les créateurs de ce film ont eu l'intelligence de mettre à profit les années de recherche du scénariste Anthony Shaffer sans pour autant alourdir le film. Ce qui le rend d'autant plus terrible, car on est loin du folklore factice des films d'horreurs conventionnels. Ici, tout ce qui est dit est vrai, ou l'a été.

Loin de gâcher le film en l'ancrant dans le réel, c'est le réel qui se trouve aspiré par la force des croyances païennes, ébranlé dans son fondement par une magie ancienne et puissante.

D'une beauté et d'une profondeur rare, envoûtant, intense, c'est clairement un de ces films dont on ressort changé.
Qu'on le regarde avec légèreté comme un film d'horreur ou un policier de base, ou qu'on y cherche quelque chose de plus, on y trouve son compte, et bien plus encore.


Et comme il est difficile d'aller plus loin sans spoiler, je vais devoir en appeler à votre sens commun (et votre sens critique) : ne passez pas à coté de ce film, je vous en prie !


D'autant plus que le public français a de la chance : l'édition DVD dans la collection Cinéma de Quartier nous offre le montage originel du film, qui gagne en force et en intensité dramatique à un point impressionnant.

Car les producteurs de l'époque, ayant signé pour un film d'horreur de base, se sont retrouvé avec un film inclassable sur les bras.
L'image est belle mais tout est filmé en décors réels, pas d'image de studio aux couleurs chatoyantes à la Hammer, on est à l'évidence dans autre chose, mais dans quoi ?
Plutôt que de lui donner sa chance, les producteurs frileux décidèrent qu'il était trop long de 8 minutes.
Mais comme, étrangement, le film ainsi amputé devenait difficile à suivre, ils en arrivèrent à la conclusion qu'il fallait aussi le remonter pour le rendre plus lisible.
La personne qui s'était chargée des coupes devant s'occuper du montage, il s'est dit "tiens, si je m'amusais à mettre un scène clé de la fin au début par exemple ? ouaais, c'est une bonne idée, allez, on va faire ça, et plein d'autres conneries..."

Bon, peut-être qu'il ne s'est pas dit TEXTUELLEMENT ça, mais le carnage qui en résulte par de lui même.


Pour prévenir toute possibilité de rendre au Wickerman ce qui lui appartient, les sous-sols dans lesquels étaient stockés les bandes du film dans son montage originel ont subi une inondation qui firent disparaître la moitié des archives du studio.

C'est donc au prix d'efforts considérables que la version Director's cut qui circule aujourd'hui a pu être recréée, grâce à un enregistrement vidéo de promotion et des rush préservés par le réalisateur soupçonneux suite au premier test screen en compagnie des producteurs, s'il faut croire la légende.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, cette version est trouvable, et le DVD français est plus long de quelques dizaines de secondes, ayant récupéré au passage quelques scènes réputées disparues.



La version distribuée à l'époque est déjà à couper le souffle, mais si vous avez l'occasion de goûter au Director's Cut, vous comprendrez ce que je veux dire sans problème.



toma Uberwenig

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