Voici un film, même si ça paraît déjà bizarre, accrochez-vous, tout le monde peut suivre. Là, vous voyez ma réflexion mais je vous assure que vous ne devrez pas réfléchir. C'est une comédie, un genre inoffensif. Aucune leçon, aucune manipulation, juste un bon moment. Et quoi de mieux alors que de se moquer des prétentions artistiques ?



Lars von Trier réalise en 2006 sa comédie : ce genre si peu noble dont il se moque dans son introduction. Et bah oui, LVT n'est pas un con, il va plus loin que ça, il ne fait pas de la comédie populaire. Il met en scène une comédie qui, contrairement à ce qu'il dit, fait réfléchir.


Le Direktør raconte l'histoire d'un acteur grotesque, nommé Kristoffer, engagé par Ravn. Ravn dirige une entreprise d'informatique et n'assume pas ce rôle de chef qui doit prendre des décisions capitalistes, qui doit faire preuve de sévérité envers ses employés. Or, notre personnage est un véritable enculé qui préfère se faire passer pour un collègue adorable jusqu'au bout alors qu'il souhaite vendre la boîte et dégager tout le monde sans indemnités conséquentes. Kristoffer deviendrait donc «le directeur de tout» le temps de la transaction avec un acheteur potentiel qui refuse de négocier avec ce faux-valet qu'est Ravn, et par la même occasion passer pour le salaud de l'histoire.


Sa pitrerie de l'année étant Automavision, un procédé de cadrage et de prise de son contrôlés par ordinateur, Lars s'amuse... en le plaçant sur le mode aléatoire. Du coup, ce con dispose d'une œuvre composée d'un montage culotté avec des décadrages permanents. Et si notre personnage principal «directeur de tout» est un acteur vouant un culte au fictif Gambini, ce n'est pas un hasard. Assimilable à Bertolt Brecht, Gambini impose à ses acteurs des contraintes dans leur jeu, à l'instar de l'introduction, il cherche à imposer une distanciation et rejette la crédibilité afin de pousser la spectateur à prendre conscience qu'il assiste à un film, et donc à qu'il réfléchisse sur ce qu'il regarde.


Cependant, ce n'est pas hilarant. Les situations prêtent légèrement à rire, mais les gags passent inaperçus entre les personnages afin de briser au mieux cette illusion du septième art. On réfléchit plus qu'on rit. A l'instar de Dogville, le film est une expérience théâtralisé prétendant à éveiller les consciences.


Sans être critique, LVT s'intéresse au coaching d'entreprise, qu'on peut aussi appeler technique de manipulation, avec un ton décalé qui permet de rendre l'ensemble de l’œuvre comique. «Le directeur de tout» en tant que «bon» acteur va s'essayer aussi bien à la répétition, en répétant tout ce que dit l'interlocuteur pour comprendre la situation et faire genre qu'il s'intéresse, qu'au mode yes-man, en disant «oui» tout à n'importe quoi, jusqu'à un tout autre n'importe quoi très drôle, qui remet en cause son homosexualité. Et ne fait pas douter de mon hétéro-sexualité.


A noter également le fameux «lieu neutre» qui n'est autre qu'un parc pour enfants, qui permet à Ravn et Kristoffer de discuter de leur connerie, qui s'apparente à des coulisses carrément au sein du film, où les personnages se mettent eux-mêmes en scène pour jouer leur rôle. De plus, comme dans chacun de ses films, Lars s'intéresse avant tout à la nature humaine, chose très présente ici avec le personnage de Ravn qui tient à son image qui ne reflète pas ce qu'il est vraiment, mais qui évoluera suivant le déroulement du film, jusqu'au final remarquable avec son la réflexion de Kristoffer sur son propre personnage.


Certes pas bien drôle comme comédie, il en demeure quand bien même bien plus que ça. Une véritable réflexion sur le cinéma intéressante assez lourde certes, mais allégé par le ton comique où l'esprit de bonne camaraderie entre collègues met de bonne humeur, avec ces vieux gamins ne souhaitant que partir en voyage d'entreprise. Un film intelligent et l'illustration même du concept de distanciation, qui fait qu'il mérite qu'on s'y attarde. Un film aussi mystérieux et intriguant que le fait qu'on appelle les WC, des 'VC' et non des 'doubles VC'.

Alex-La-Biche
7
Écrit par

Créée

le 24 juil. 2015

Critique lue 1.1K fois

22 j'aime

4 commentaires

Alex La Biche

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

22
4

D'autres avis sur Le Direktør

Le Direktør
ChocBonham
8

Comédie au goût amer

Lars Von Trier, après nous avoir livré des films tragi-dramatiques au possible (Breaking the Waves, Dancer in the Dark, ou Dogville), décide de nous montrer son possible talent pour la...

le 4 mai 2012

19 j'aime

6

Le Direktør
JimBo_Lebowski
8

Lars tire les ficelles

Un film vraiment particulier ... Von Trier veut nous présenter une "comédie" comme il le dit lui même dans les premières minutes, son reflet caméra dans la vitre laisse augurer une certaine...

le 6 mai 2014

8 j'aime

Le Direktør
-MC
8

Critique de Le Direktør par -MC

Après les deux premiers volets de sa trilogie américaine et avant la très critiqué trilogie de la femme, Lars Von Trier sortait une comédie très... Lars Von Trier quoi, dès le début en voix off il...

Par

le 10 mai 2014

5 j'aime

Du même critique

Amadeus
Alex-La-Biche
9

Mozart Fucker

Moi, je m'en tamponne la clarinette de Mozart. D'autant plus qu'il ne s'agit même pas d'un vrai biopic sur le compositeur, mais simplement d'une adaptation éponyme d'une pièce de théâtre signée Peter...

le 22 oct. 2014

117 j'aime

36

Mommy
Alex-La-Biche
10

Mommy fait bander

"- Ce soir je vais à la projection de Mommy" - Ah tu vas voir La Momie ! - Non Mommy. - Bah le truc égyptien ? - Non, le dernier film de Dolan. - Ahh celui qu'à fait les Batman ?! - Euh... Non lui,...

le 30 sept. 2014

110 j'aime

38

Chambre 12
Alex-La-Biche
2

Chambre Bouze

Remarquée en 2013 dans l'émission beauf la plus tendance du moment, The Voice, la plus belle voix, où elle atteint la demi-finale, Louane obtient une plus grande notoriété en 2014 grâce à son premier...

le 1 juil. 2015

101 j'aime

40