"Les héros d'une histoire ont toujours les yeux bandés"
Le genou de Claire est tout-à-fait remarquable, ce que Rohmer fait de mieux, sobre et intelligent même si le spectre du personnage-concept n'est, comme toujours, jamais très loin. De ce film, je ne retiendrai pas seulement que les pantalons patte d'éléphant c'était quand même quelque chose... J'ai beaucoup aimé les "bavardages" intempestifs des personnages sur l'amour ; à cet égard, le bavard l'est beaucoup moins lorsqu'il est amoureux, en témoigne la moment où Jérôme se trouve avec Claire sur son bateau. La discussion devient de suite plus difficile, et ils finissent par discuter de la météo. Autre moment remarquable, celui où Jérôme raconte à Aurora la manière dont le petit-ami de Claire lui touche le genou, qui traduit la violence du désir de Jérôme. Ce désir est tel qu'il affirme en substance qu'elle ne peut pas ne pas lui appartenir, se refuser de cette manière et accepter la manière grossière et gauche dont son copain lui caresse le genou.
Ce qui m'a le plus marqué dans ce film est la mise en abyme qu'opère Rohmer à travers la triptyque vie-littérature-cinéma. Le film parle donc de l'écriture d'un livre qui a pour sujet le jeu amoureux. Coup de force avec quelque part en tête non seulement que "la vraie vie c'est la littérature", comme le disait Proust et le cinéma ajouterait Rohmer, mais aussi que la fiction inféode le réel. Jérôme est en vacances sur les bords du lac d'Annecy pour voir son amie Aurora, écrivain. Il est aussi là pour lui servir "cobaye" pour reprendre leur expression, pas plus que n'importe quel personnage. Car "les héros d'une histoire ont toujours les yeux bandés comme elle le dit elle-même parlant de la peinture représentant Don Quichotte. C'est à elle de mettre en scène, elle a préparé les ingrédients nécessaires pour nourrir son roman, en cela elle semble échapper à cette inféodation entière au récit. Toutefois, c'est Claire, et plus précisément son genou, élément imprévu qui va nourrir cette écriture. Ce n'est pas la maturité intellectuelle de Laura qui l'intéresse mais la candeur et le physique de Claire qui vont violemment attirer Jérôme (l'opposition est clairement marquée) et ceci d'autant que si la première s'offre à lui, la seconde s'y refuse. Finalement, le désir, qui n'est ici guère différent d'un appétit, prend fin avec sa satisfaction, Jérôme parvient à caresser le genou de Claire. Et c'est ici que le message de Rohmer me paraît extrêmement fort : peu importe la cruauté du stratagème mis en place pour satisfaire ce désir, qui rappelons le, est tout-à-fait nécessaire à la poursuite de l'écriture du livre d'Aurora, l'important est que cela nourrisse la fiction. En cela, la scène lors de laquelle Jérôme raconte en détail le stratagème élaboré pour parvenir à sa fin est remarquable, il admet qu'il est allé assez loin mais se montre satisfait, le livre d'Aurora est désormais bien entamé. "La fiction vaut bien ça" nous susurre à l'oreille Rohmer.