New York, quelques secondes avant la nouvelle année 1959. Un homme marche le long de la margelle du 45e étage et se prépare à sauter, tandis qu'une voix off à la voix traînante (un cliché des Coen : https://youtu.be/4t_7rI_euds) nous dit qu'il s'appelle Norville Barnes (Tim Robbins). On revient en arrière : le PDG de la multinationale Hudsucker se suicide. Son testament prévoit que son portefeuille d'action soit vendu au guichet le 1er janvier. Le board, dirigé par Sidney Myssburger (Paul Newman), décide de nommer un crétin qui fera chuter la valeur des actions, qu'ils rachèteront quand le prix aura crevé le plancher. Norville, qui vient d'être engagé comme porteur de dépêche, a la tête de l'emploi.
Une journaliste arriviste, Amy Archer (Jennifer Jason Leigh), enquête sur lui et découvre qu'il est un pantin ; elle tombe cependant amoureux de ce doux rêveur. Les actions Hudsucker plongent comme prévu. Mais Norville en profite pour vendre son idée : le hoola-hoop, qui fait un carton, et la multinationale crêve tous les plafonds. Mais le succès monte à la tête de notre héros, que Mussburger pousse au suicide en multipliant les coups bas. Quand il apprend qu'Amy était une journaliste, Norville veut se tuer. Mais le narrateur, responsable de l'ascenseur, arrête la grande horloge, bref le temps, et l'empêche de s'écraser, tandis qu'Hudsucker, devenu un ange, descend parler à Norville. La fameuse "lettre bleue" qu'il a oublié de donner à Sidney la première fois qu'ils se sont rencontrés devat virer Sidney et donner toute latitude à son successeur. Le film termine sur un happy-end, Norville a une nouvelle idée : le frisbee.
Ce qui frappe d'entrée de jeu, c'est la proximité de ce film avec le Brazil de Terry Gilliam, de 10 ans son aîné. Du thème musical très éthéré, aux extérieurs urbains froids et sombres, en passant par la satire sociale, notamment la critique de la bureaucratie, ses règles et ses tubes, ainsi que du capitalisme. Evidemment, c'est une comparaison dont pâtit le film, de même que ce premier essai des Coen au long métrage souffre d'être comparé à leurs oeuvres ultérieures.
Malgré tous ces désavantages, il est plutôt sympathique, ce film. Il y a de petits moments de liberté qui partent un peu dans tous les sens, c'est fouilli comme une oeuvre de jeunesse, c'est rafraîchissant comme tout. Le flashback de la "double-piqûre" du pantalon de Paul Newman m'a beaucoup fait rire, j'adore ce genre de développement gratuit. Tout comme le petit numéro de crooner complétement impromptu au gala donné par Hudsucker. Il y a pas mal de beau monde, à commencer par le toujours savoureux Bruce Campbell, ici dans une touche très fifties, chapeau, clope et menton carré. Mais aussi Steve Buscemi, Charles Durning, John Goodman, etc...
On sent la patte de Sam Raimi, qui a participé au scénario et à la réalisation. ça se voit dans la manière dont est filmé l'environnement urbain (un peu comme dans Darkman), mais aussi dans une touche assez cartoon, par moments (Hudsucker en ange descendant du ciel, la chute interminable du haut du gratte-ciel, la blague de la vitre en plexiglass). ça donne un côté déjanté qui rappelle un peu Brazil... Un peu. Parce qu'il y a aussi les Coen, donc le scénario fait très écrit, et le film a un rythme un peu trop lent pour qu'on puisse le dire "déjanté". Et c'est triste à dire, mais c'est surtout 'histoire qui pêche, car on la voit venir de loin, cette énième success story à l'américaine, qui tourne mal, mais à la fin le gars arrive à retrouver la fille.
Et c'est un peu dommage, cette impression que le film a été un peu tiré dans différentes directions, car il y a une direction artistique très créative, avec ces décors d'immeubles rétrofuturistes, cette horloge qui rappelle Harold Lloyd, la séquence de commercialisation du hoola-hoop et les fausses images d'info de l'époque sur cette vogue, très réussies. Les acteurs sont bien aussi, c'est plutôt au niveau du rythme que ça pêche.
Le grand saut, le premier film des Coen, le vilain petit canard que personne n'aime, est un joli conte du nouvel an, un peu barge mais pas trop et surtout très beau visuellement. Découvrez-le si vous ne l'avez pas fait.
(Merci à MrMeeea, dont j'ai dit décidément trop de mal, pour avoir conseillé ce film dans une chronique).