Cela faisait longtemps que je voulais revoir ce Tarkovski en particulier. En effet c'était à la fois celui que j'avais vu dans les plus mauvaises conditions mais aussi celui dont certaines images étaient malgré tout définitivement ancrées dans mon petit cerveau.


La séquence d'ouverture, incroyable d'intensité, fait immédiatement tout remonter en moi : je m'aperçois que le bredouillant Iouri ne m'avait en fait jamais quitté et qu'il ne tenait qu'à moi d'ouvrir la porte de la cellule dans laquelle je l'avais enfermé. Frissons, cœur qui s'accélère, pas de doute, je suis bien chez Tarkovski.


Allez je respire un grand coup, car je sais qu'immédiatement après je risque d'être achevé par cette image qui me revient régulièrement depuis toutes ces années : ça y est, elle est là, de dos, assise sur cette barrière, une cigarette à la main. La caméra s'en approche lentement, la délaisse un instant pour mieux la découvrir... Margarita Terekhova / Maroussia nous toise, et dans son regard, tranchant et triste, saisissant et mortellement blessé, se reflète toute la douloureuse histoire d'un pays.


C'est décidé, je ne lutterai pas avec Tarkovski, le combat est inégal. Il lui aura fallu 5 minutes pour me mettre le cœur en miettes. Et la suite ne sera que jeux de massacre : je chavire à chaque plan, la musique résonne en moi, chaque poème d'Arséni Tarkovski fait l'effet d'une lame me transperçant la chair, et les images d'archives viennent parachever le travail... Je suis en morceaux.


Je comprends mieux maintenant pourquoi j'avais très longtemps reculé l'instant de me confronter à nouveau à ce "Miroir", trop remuant, trop déstabilisant. Mon inconscient m'avait probablement protégé de lui mais je ne peux qu'avouer ce que de vieilles sensations enfouies me suggéraient : ce film fait, que je le veuille ou non, partie de moi.


J'ai toujours abordé le cinéma de Tarkovski avec une certaine douleur, je peux même dire que j'y suis entré comme on entre en religion, prêt à me donner pleinement quitte à souffrir. Et ce nouveau voyage dans la mystique du maître russe restera une expérience unique, bien au-delà de l'art.


NB : Criterion ne semblant pas décidé à sortir ce "Miroir" en Blu-ray, je me suis tourné vers les Éditions Potemkine, et excellente surprise... Du très beau travail !

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le 12 oct. 2014

Modifiée

le 10 sept. 2012

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