Si mes souvenirs sont bons, ce premier épisode des Monocles est encore le moins bon, le plus timide sans doute. Et c’est vrai qu'il est un peu mou du genou.


Et puis d'abord, le début est confus. Les dialogues y sont étranges. On ne sait trop sur quel pied danser, si le film, en apparence noir, va conserver ses caractéristiques car les dialogues incongrus jurent avec la forme et introduisent vite le doute avec leur teneur comique indéniable.


Ce n'est pas encore le cinéma de Georges Lautner dans toute sa splendeur, avec une réalisation audacieuse et poseuse, des dialogues de Michel Audiard faisant de la littérature comique et plaçant les comédiens sur des numéros de très haute volée. Pas encore mais, même si Audiard n'est pas présent, ce film-là peut être considéré comme un pionnier par bien des aspects. Le scénario est pince-sans-rire, avec des personnages aux traits saillants, pittoresques. Période pré-tontons-flingueurs, ce Lautner a déjà une réalisation fort soignée et des acteurs cadrés de façon sophistiquée. C'est pour cette raison que je qualifierais volontiers sa manière de filmer de “poseuse”. Ce n'est pas du tout péjoratif dans mon esprit. Au contraire, à l'époque, ces cadrages, cette caméra fixe avec ces jeux d'ombre et de lumière pouvait passer pour modernes. Aujourd'hui, ces audaces n'ont plus le même impact. Elles sont très agréables et tellement identifiables au cinéma de Lautner qu'on peut parler du style Lautner sans crainte de se fourvoyer, un style racé, élégant et d’une efficacité surprenante.


Le Blu-ray met en valeur la photographie de Maurice Fellous judicieusement restaurée. Le grain des peaux, la profondeur des champs sont autant d'éléments formels qui sont très bien rendus.


C'est un réel délice que de voir évoluer les personnages, surtout quand ils sont incarnés avec la grâce féminine de Elga Andersen. L'actrice allemande constitue une pièce maîtresse du film, en dehors de Paul Meurisse. Georges Lautner sait merveilleusement bien comment la filmer afin de la mettre en valeur. Sensuelle et distinguée, la comédienne donne plutôt bien la réplique à ses camarades de jeu.


Parmi ceux-ci, certains me laissent une plus belle impression que les autres. Je veux mettre d'abord en avant un acteur dont la trogne nous est familière, mais dont le nom m'échappe de temps en temps : Albert Rémy a un rôle assez important. Il le tient plutôt bien, notamment quand il flirte avec Elga Andersen ou quand les événements commencent à tourner vinaigre pour son personnage.


Jacques Marin est encore plus fameux. Sa figure ne peut pas vous être inconnue tant on la retrouve dans une myriade de films français, et même hollywoodiens (car le bougre eut les faveurs des studios pour jouer les français moyens à l’occasion). Si ce n'est son visage, ce sera sa voix que vous reconnaîtrez ; il a en effet œuvré dans les doublages, par exemple pour Disney. Ici il joue un homme de main fort, digne et droit du commandant Dromard (Paul Meurisse). Ce dernier est bien sûr la vedette du film. Son personnage est le héros central.


Paul Meurisse est un comédien savoureux, que j’adore (on est nombreux dans ce cas, je sais). Sa diction, son physique pour le moins original, sa prestance, sa gestuelle rigide, un peu guindée mais souriante en font un acteur fascinant. Il est à l'évidence l'autre point fort du film, qui suscitera l'adhésion d’un grand nombre de spectateurs et par conséquent de la production de deux autres films avec ce personnage.


Malgré quelques ralentissements flagrants dus sans doute à l'expérience encore trop mesurée du gars Lautner, ce film parvient à mener sa barque et m’a donné quelque plaisir de revoyure, par son casting, sa belle photo et sa superbe allemande.


Captures et trombi

Alligator
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le 11 juil. 2017

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